Au premier abord, le quartier de Feldmatt, à Sempach, ne diffère guère de n’importe quel autre quartier de villas en Suisse: des maisons et des jardins bien entretenus, des toits à deux pans, des haies protégeant des regards indiscrets, beaucoup d’espace pour les voitures, des panneaux exhortant malgré tout à faire attention aux enfants. À y regarder de plus près, toutefois, on se rend compte qu’il se passe ici quelque chose. Les constructions récentes s’écartent du modèle habituel, et des gabarits annoncent d’autres transformations.
Les zones H2: un défi en matière d’aménagement local
Quand on examine les plans de zones des communes, on est frappé par l’étendue des zones villas, qu’elles soient de couleur jaune ou orangée. Les quartiers de maisons individuelles les plus anciens se trouvent souvent à l’intérieur de la localité, les plus récents à la périphérie. Faut-il, ici ou là, admettre, voire promouvoir une densification bâtie ou sociale? Ou bien les quartiers de villas sont-ils une «affaire privée», comme l’allèguent souvent les propriétaires? Qu’advient-il des anciens lotissements, en général sous-exploités, lorsque des changements de mains, des augmentations de valeur ou la rareté des logements entraînent, sur certaines parcelles, un développement non coordonné?
Ces questions se posent, car de nombreuses zones H1 et H2 recèlent un potentiel non négligeable. Eu égard à l’actuelle pénurie de logements, les propriétaires pourraient en tirer parti, non seulement pour accroître leur propre espace habitable, mais aussi pour créer de nouveaux logements. Une planification territoriale responsable se doit d’encourager, dans ces zones également, un développement vers l’intérieur durable. Du point de vue social, une densification mesurée peut permettre un changement de génération, la réalisation d’un habitat intergénérationnel ou la construction de petits immeubles. Sur les plans écologique et économique, l’assainissement énergétique et l’approvisionnement énergétique climatiquement neutre des bâtiments constituent des enjeux d’une actualité brûlante. L’architecture des quartiers de villas est souvent très hétérogène, ce qui confère d’autant plus d’importance à l’aménagement d’espaces verts et d’espaces-rues de qualité, qu’ils soient publics ou privés, car c’est en eux que réside la possibilité de faire du quartier un tout cohérent.
Du fait de la petite taille des parcelles et des constructions, les quartiers de maisons individuelles constituent, dans le cadre de l’aménagement local, une problématique difficile et mal-aimée. La commune et les aménagistes se trouvent ici confrontés à un grand nombre de propriétaires – privés – souvent méfiants, ainsi qu’à des structures parcellaires très fragmentées. Le bâti préexistant y rend les projets de renouvellement «d’un seul jet» impossibles. Les professionnels sont contraints d’expliquer, de proposer des solutions, de désamorcer les peurs, de traduire leur jargon en termes compréhensibles pour tout un chacun. Bref: le quartier de villas représente la discipline reine en matière d’intervention sur l’existant. L’exemple de Sempach l’illustre à merveille.
D’anciens plans très rigides
Les quartiers de Feldmatt et de Feld (ci-après: Feldmatt) se situent à la périphérie de la cité historique, en léger contre-haut du lac de Sempach. La ville compte aujourd’hui près de 4200 habitants. Les deux quartiers ont été réalisés il y a une quarantaine d’années sur la base de deux plans d’aménagement détaillés (Gestaltungspläne) privés très rigides. Bien que la loi cantonale sur l’aménagement du territoire et les constructions et le règlement communal d’urbanisme aient été adaptés à plusieurs reprises, ces plans n’ont guère permis aux propriétaires de s’écarter des prescriptions détaillées (toits à deux pans, matérialisation, etc.), ni de réaliser d’agrandissements. En 2015, plusieurs propriétaires ont émis le souhait d’agrandir leurs maisons et de les rénover sur les plans constructif et énergétique, en vue notamment de permettre à leurs enfants de revenir y habiter avec leur famille, en cohabitation avec la vieille génération. L’exécutif communal n’était toutefois plus disposé à accorder au cas par cas, comme par le passé, des dérogations aux plans existants. En effet, la révision de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire, le passage, dans le canton de Lucerne, de l’indice d’utilisation du sol à l’indice d’occupation du sol (voir encadré «IUS et IOS»), ainsi que la nécessité, pour la commune, de réviser prochainement son plan d’aménagement local – tous ces facteurs appelaient un réexamen des plans d’aménagement détaillés existants. La Ville a donc décidé de soumettre le quartier de Feldmatt à une analyse globale, afin de déterminer comment il pourrait se développer dans l’intérêt de tous.
IUS et IOS
Dans le cadre de l’accord intercantonal harmonisant la terminologie dans le domaine des constructions (AIHC), le canton de Lucerne a abandonné l’indice d’utilisation du sol (IUS) au profit de l’indice d’occupation du sol (IOS). L’IUS est le rapport entre la surface de plancher déterminante et la surface de terrain déterminante. L’IOS est le rapport entre la surface déterminante de la construction et la surface de terrain déterminante; il indique donc l’emprise au sol du bâtiment.
Impliquer tous les propriétaires
Lors d’une promenade à travers le quartier, la conseillère municipale Mary Sidler décrit les projets réalisés et en cours d’étude, et explique comment la Ville promeut ici une densification modérée, mais de qualité. Cette architecte de métier dispose d’une grande expérience des processus participatifs. «En 2015, précise-t-elle, nous avons profité de l’occasion pour participer au Réseau coopératif pour le développement à l’intérieur du milieu bâti.» Ce projet-modèle de la Confédération a été lancé par la Haute école et le canton de Lucerne, et mené en collaboration avec différentes communes. Le projet «Feldmatt Sempach» visait à établir, en concertation avec tous les propriétaires, des règles destinées à accroître légèrement les possibilités d’utilisation du sol en vue de créer de nouveaux logements, tout en préservant les qualités appréciées des habitants. Dans le cadre de ce processus, il s’agissait de transformer l’ancien plan d’aménagement détaillé en un plan spécial (Bebauungsplan) public – un type de plan qui peut, d’après le droit lucernois, déroger au règlement d’urbanisme communal, mais qui doit être adopté par l’Assemblée communale.
Des ateliers fructueux
Au début du processus, lors d’une première séance d’information, près de 80 pour cent des propriétaires étaient opposés à toute modification du plan en vigueur. Ils craignaient que les constructions ne deviennent trop hautes ou trop proches, ou que des jardins ne disparaissent dans le quartier. «Après trois ateliers très intenses et des entretiens approfondis, les réticences se sont muées en une adhésion presque totale», se remémore Sidler non sans fierté.
Sous la direction d’Ulrike Sturm, la Haute école de Lucerne a procédé à une analyse minutieuse du quartier et élaboré, pour le premier atelier, trois scénarios de développement. Lors de la discussion, les propriétaires ont privilégié le scénario le moins dense, baptisé «Naturblick». Sturm commente: «Tout le monde tenait à maintenir les corridors de verdure entre les maisons et à éviter d’obstruer la vue en direction du lac.»
Sur la base des réactions exprimées, la Haute école a élaboré, pour les deuxième et troisième ateliers, des règles de construction dont les avantages et inconvénients ont été soupesés en commun. Chaque propriétaire pouvait désormais évaluer les possibilités de développement dont il disposerait sur sa parcelle, ainsi que celles dont ses voisins bénéficieraient sur les leurs. Au terme du processus participatif, un bureau d’urbanisme a transposé les résultats des ateliers dans le plan spécial attendu – plan qui, après avoir été présenté à la population de la ville, a été approuvé à la quasi-unanimité par l’Assemblée communale en 2017.
Un processus couronné de succès
Tant Mary Sidler qu’Ulrike Sturm considèrent le processus comme un grand succès. La seconde résume: «On n’a pas soumis aux propriétaires un plan définitivement ficelé par des professionnels. L’analyse préalable du quartier s’est révélée très précieuse, car elle a permis aux intéressés de se forger une idée commune du quartier et de ses particularités. Les scénarios ont aidé à comprendre les impacts des différentes évolutions envisagées.»
Le nouveau plan permet de densifier ...
Le nouveau plan spécial définit des alignements asymétriques qui garantissent un ensoleillement optimal des parcelles. Il prévoit un échelonnement des hauteurs des constructions, de manière à maintenir la vue dégagée en direction du lac. Désormais, les toits plats avec terrasse sont autorisés, ce qui augmente considérablement la surface habitable réalisable et permet de créer des espaces extérieurs supplémentaires très attractifs.
La Ville a-t-elle aujourd’hui atteint son principal objectif, qui est de permettre la réalisation de nouveaux logements propices à un habitat intergénérationnel? L’expérience montre qu’après une modification de plan, il faut plusieurs années pour que de premiers projets se réalisent selon les nouvelles règles. Dans le quartier de Feldmatt, les six dernières années ont vu une maison individuelle céder la place à un petit immeuble pour trois familles, et deux maisons jumelées être transformées, par surélévation, en un immeuble de six logements pour familles également. Deux projets en cours visent à remplacer des maisons individuelles voisines en maisons à trois logements chacune. Pour Ulrike Sturm, cela montre que le modèle de la maison intergénérationnelle ou du petit immeuble respectueux de l’échelle du quartier s’est imposé.
Le règlement du plan spécial comporte un article destiné à préserver la qualité du quartier – qualité que les propriétaires sont les premiers à apprécier. La disposition en question exige que, dans le traitement des constructions et l’aménagement des espaces non bâtis, l’implantation des bâtiments, les proportions, les matériaux et les couleurs fassent l’objet d’une attention particulière. Cet article – certes assez vague – permet à l’autorité chargée de l’octroi des autorisations de construire de s’y référer si certains projets ne présentent pas le niveau qualitatif attendu.
Les efforts des acteurs impliqués ont été récompensés: en 2017, en effet, Sempach s’est vu décerner le Prix Wakker. Patrimoine suisse a notamment rendu hommage à la volonté des autorités de densifier les quartiers de villas recelant d’importantes réserves de surfaces à bâtir. Selon l’organisation de défense du patrimoine, l’attitude engagée et clairvoyante de la Ville contribuerait à ce que le modèle de la participation et de la culture du dialogue fasse école.
d’importantes réserves de surfaces à bâtir a été saluée»
... mais garantir la qualité voulue reste difficile
Les premiers projets réalisés montrent que, malgré l’article évoqué plus haut, il reste difficile d’exiger et d’atteindre le niveau de qualité escompté. Il est réjouissant de constater que les propriétaires désireux d’entreprendre des travaux prennent désormais très tôt contact avec la Ville. L’accompagnement des projets se révèle toutefois très exigeant et gourmand en temps. La commission d’urbanisme, dont Mary Sidler fait partie, examine tous les projets qui concernent le quartier de Feldmatt. «Nous émettons des recommandations d’améliorations architecturales.» La conseillère municipale ne se montre toutefois que moyennement satisfaite des résultats. Un exemple actuel témoigne de l’importance que la Ville attache aux espaces extérieurs: la commission a demandé à deux requérants voisins de faire établir un plan commun d’aménagement des jardins par une architecte-paysagiste, afin d’assurer une transition harmonieuse entre les deux parcelles sans que celles-ci ne soient, comme le prévoyait le projet, séparées par un mur.
Avec le recul, Mary Sidler et Ulrike Sturm reconnaissent toutes deux que le nouveau plan spécial de Feldmatt ne permet pas de maîtriser suffisamment l’aménagement des espaces extérieurs et de l’espace-rue. «Mais rien n’est perdu; nous pourrons y remédier lors d’une prochaine étape», estime Sidler.
Des enseignements pour l’élaboration des plans d’affectation
En matière de développement vers l’intérieur ambitieux sur le plan qualitatif, la Ville de Sempach ne s’en est pas tenue à certains quartiers spécifiques. Dès 2018, en effet, l’exécutif communal a adopté le concept de développement territorial (Räumliches Entwicklungskonzept) REK 2045, en vertu duquel les autorités s’imposent d’appliquer certains principes qualitatifs dans les domaines du développement urbain et de la construction de logements.
À la suite de l’adoption du REK, la Ville s’est attelée à la révision de son plan général d’affectation. «Nous avons tiré profit des expériences issues du processus participatif», explique Sidler. Un atelier d’une demi-journée a ainsi été organisé dans d’autres quartiers de maisons individuelles, en collaboration avec le bureau chargé de l’aménagement local et un autre bureau d’urbanisme. «Là encore, nous avons procédé à une analyse préalable des quartiers, présenté différents scénarios de développement à la population et discuté ensemble de ces scénarios et du cadre juridique nécessaire.» Des solutions architecturales habiles devraient en principe permettre de créer au moins un logement supplémentaire par parcelle, et ce, sans préjudice pour les voisins.
Une attention accrue sera accordée à l’aménagement de l’espace public, dont profite en effet tout le quartier. L’objectif de la Ville est de requalifier l’espace-rue dans les quartiers de villas, ainsi que d’en favoriser l’animation. Il faut pour cela que les maisons s’ouvrent sur la rue et que le niveau inférieur des parcelles en pente soit occupé, non plus seulement par des places de parc ou des garages, mais aussi par des espaces de vie. À titre d’incitation, le nouveau règlement de construction de la Ville prévoit, dans certains quartiers de villas en pente, un bonus d’utilisation du sol pour la création de surfaces habitables au rez-de-chaussée inférieur des maisons.
L’Assemblée communale a adopté le plan de zones révisé en avril 2022. Il faudra toutefois quelques années pour que des projets de qualité se réalisent. Quoi qu’il en soit, la petite ville de Sempach s’est attaquée avec courage à la problématique ardue des quartiers de villas – et elle a déjà obtenu des résultats appréciables dans ce domaine clé.
La densification des quartiers de villas en bref
Pour que les quartiers de maisons individuelles contribuent à un développement vers l’intérieur de qualité, il faut:
– que la commune dispose – comme celle de Sempach – de peu de terrains à bâtir non construits et d’un faible potentiel d’extension;
– que les plans de zones et les plans d’affectation spéciaux le permettent ou, mieux encore, le favorisent;
– que les propriétaires connaissent les possibilités de développement dont ils disposent et qu’ils bénéficient de l’appui actif de la commune;
– que les projets prévoient la création de nouveaux logements, et pas seulement l’agrandissement des logements existants;
– que les autorités se montrent tenaces et veillent à ce que les exigences qualitatives soient effectivement satisfaites;
– qu’une grande attention soit accordée à l’aménagement d’espaces verts et d’espaces-rues attractifs.
Informations complémentaires
Projet-modèle de la Confédération: Réseau coopératif pour le développement à l’intérieur du milieu bâti (LU, BL)
Mettre en œuvre le développement de l’urbanisation vers l’intérieur du milieu bâti constituait l’un des axes des Projets-modèles 2014–2018 de la Confédération pour un développement territorial durable. La Haute école de Lucerne a mis sur pied des processus de planification participatifs dans plusieurs communes (p. ex. Sempach LU, Aesch BL, voir ci-dessous).
L’exemple d’Aesch BL
À Aesch, l’une des communes retenues dans le cadre du projet-modèle, la Haute école de Lucerne a défini, avec les propriétaires d’un quartier de maisons contiguës, les principes destinés à régir l’agrandissement des constructions. Le processus mis en place a permis de montrer comment le plan de quartier existant, très rigide, pouvait être remplacé par un nouveau plan adapté aux besoins actuels.
Guide relatif aux processus co-évolutifs de développement vers l’intérieur
En 2023, la Haute école de Lucerne a publié l’évaluation de différents processus participatifs de développement vers l’intérieur. Ce document montre que chaque projet de densification est spécifique, mais que certaines manières de faire peuvent être généralisées. Il apparaît par ailleurs que, pour des projets complexes – comme celui du quartier de Feldmatt à Sempach –, il est indispensable de prévoir au moins trois séances ou ateliers participatifs.
Publication sur les conditions d’une culture du bâti de haut niveau
Également parue en 2023, cette autre publication de la Haute école de Lucerne se base sur une analyse des villes et des communes qui se sont vu décerner le Prix Wakker ces 50 dernières années.
https://www.hslu.ch/de-ch/hochschule-luzern/forschung/projekte/detail/?pid=5677
La parole à Mariette Beyeler: «Toute maison individuelle présente un potentiel de densification»
Madame Beyeler, vous vivez à Lausanne dans un immeuble collectif, mais vous travaillez depuis des années sur les quartiers de maisons individuelles. D’où vient cette fascination?
Les quartiers de villas recèlent un énorme potentiel de développement, mais ce potentiel est négligé ou, en tout cas, sous-estimé par les architectes et les urbanistes. Je vois ces maisons comme une matière première que les propriétaires peuvent adapter à leurs besoins au fil de la vie. Explorer cette marge de manœuvre m’intéresse. Avec leur petite échelle et leur granulométrie fine, ces quartiers offrent un champ d’activité aux multiples facettes, que je trouve très stimulant.
Le potentiel de densification des quartiers de villas est lié à leur bâti en général très aéré. De quoi faut-il tenir compte pour les développer de façon judicieuse?
Pour moi, une densification est réussie lorsqu’elle est douce et qu’il en résulte un ensemble cohérent. Cela implique de travailler sur les bâtiments existants, de respecter l’échelle du quartier et de produire un nouvel ensemble cohérent. Mais cela nécessite des conditions favorables et des règles adéquates. Les projets de densification réussis sont souvent portés par les propriétaires qui habitent le quartier. Notre expérience montre que, lorsque les propriétaires construisent eux-mêmes, il en résulte souvent des logements adaptés à différents besoins: ceux de nouvelles familles, de personnes plus âgées, de personnes seules, etc. Cette diversification permet à plusieurs générations de cohabiter sous un même toit, et non pas seulement de s’y succéder, comme c’est en général le cas dans une villa ordinaire. Le rachat de maisons par des investisseurs externes se révèle souvent préjudiciable au quartier, car ce sont la plupart du temps des logements familiaux monofonctionnels qui sont alors construits.
Tout quartier de villas se prête-t-il à être densifié?
En principe oui. Bien sûr, les quartiers bien desservis par les transports publics s’y prêtent mieux. Mais on trouve presque partout des réserves de surfaces à bâtir, même modestes. Comme les habitants des quartiers concernés ont toutefois tendance à s’opposer à l’augmentation du trafic et des volumes bâtis, des mesures d’accompagnement s’imposent. Les règlements de construction existants comportent des dispositions relatives à la forme des pignons, à la couverture des toits et à la matérialisation des maisons. Aujourd’hui, avec le changement climatique, nous avons besoin de règles qui limitent l’imperméabilisation des sols et qui promeuvent l’arborisation des espaces non bâtis. Dans chaque quartier, les arbres peuvent être les alliés d’une bonne densification, car ils atténuent l’impact des grands volumes bâtis.
Quel rôle l’architecture joue-t-elle dans les quartiers de maisons individuelles?
Comme ces quartiers ont toujours été hétérogènes, l’architecture – et c’est une architecte qui parle – y est assez secondaire. Ce qui se révèle essentiel, c’est le rapport des maisons à la rue, ainsi que l’aménagement des espaces extérieurs publics et privés. L’espace-rue revêt ici une importance majeure. Aujourd’hui, même les rues de quartier sont de simples espaces de circulation et de manœuvre. Si la population des quartiers de villas s’oppose à leur densification, c’est en grande partie par crainte d’un trafic supplémentaire. Une densification de qualité devra donc mettre l’accent sur l’aménagement d’un espace-rue convivial et polyvalent, où les cyclistes puissent parquer leur vélo, les enfants jouer et les gens s’asseoir. Si la rue devient un véritable lieu de vie, une densification de ces quartiers sera mieux acceptée.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi révisée sur l’aménagement du territoire il y a dix ans, le développement vers l’intérieur est à l’ordre du jour. Pourtant, les quartiers de villas sont dédaignés par les architectes et les urbanistes. Où se situent selon vous les principales difficultés?
Même si beaucoup d’architectes et d’urbanistes habitent dans des maisons individuelles, ce n’est pas le grand amour ... Pendant des années, les aménagistes ont créé, à la demande des communes, de vastes zones de villas que les architectes ont ensuite construites, et on a longtemps pensé ne plus devoir s’occuper de ces quartiers. S’y ajoute le fait qu’après la révision de la LAT, les communes se sont d’abord préoccupées de leur centre et de leurs grands secteurs de développement. Mais les choses ont changé: la Suisse compte aujourd’hui un million de maisons individuelles. Il ne s’agit donc pas d’une problématique de niche; ces quartiers contribuent à façonner nos paysages. Dans la formation d’architecte, les notions d’économie circulaire, d’énergie grise et d’intervention sur l’existant ont pris de l’importance. De fait, une maison ne devrait désormais plus être d’emblée vouée à la démolition, mais être analysée sous l’angle de son potentiel de développement. L’objectif devrait être d’insérer de nouveaux volumes dans l’existant, tout en préservant les qualités des jardins et les vieux arbres.
Qui devrait s’impliquer dans le développement des quartiers de maisons individuelles?
D’abord les communes. Ce sont elles qui définissent les conditions-cadres à l’aide de leurs instruments d’aménagement. Dans les quartiers de villas, le laisser-faire n’est plus une option. La tâche des communes consiste à concilier les intérêts particuliers pour produire un tout cohérent. Mais il faut pour cela qu’elles aient une idée de la manière dont ces quartiers doivent se développer. Il faut donc qu’elles mènent une réflexion approfondie sur leurs différents types de quartiers, comme l’a fait Sempach. Ensuite les propriétaires, qui sont en général très attachés à leur maison, mais qu’il faut sensibiliser aux avantages d’une densification douce à travers des propositions attrayantes. Enfin les architectes, à qui il appartient de montrer aux propriétaires le potentiel de leur bien et de leur soumettre des propositions. Une réserve de 20 mètres carrés pourra par exemple être utilisée pour créer un petit logement supplémentaire en déplaçant la cage d’escalier à l’extérieur de la maison, de manière à assurer des accès indépendants. L’assainissement énergétique peut aussi constituer un levier pour densifier, mais les propriétaires qui rénovent manquent souvent l’occasion – en particulier avant la retraite, quand leur revenu et leur charge fiscale sont encore élevés – d’examiner l’opportunité d’agrandir leur maison ou de remettre en question l’usage qu’ils en font. Ainsi, on installe des panneaux photovoltaïques sur des maisons largement sous-exploitées; c’est aberrant.
Comment motiver les propriétaires à développer leur bien?
Comme en témoignent l’exemple de Sempach et notre propre expérience, il est possible d’intéresser les propriétaires en les informant et en les impliquant de manière adéquate. Il ne suffit pas que la commune inscrive «Développement vers l’intérieur» dans son agenda. Il faut montrer aux propriétaires quels avantages ils peuvent retirer d’une transformation de leur maison. Créer un ou deux logements supplémentaires pourra améliorer la rentabilité de leur bien ou les aider à financer un assainissement énergétique. Il est aussi dans l’intérêt de la commune que les propriétaires attachés à leur quartier gardent les rênes et requalifient eux-mêmes leur maison et leur jardin, plutôt que de les vendre à une société immobilière qui réalisera des logements en propriété par étage en entraînant ainsi une nouvelle fragmentation des rapports de propriété. Les communes ont bien sûr aussi besoin de l’appui de professionnels pour sensibiliser les propriétaires à un développement vers l’intérieur de qualité, et élaborer avec eux une vision de leur quartier.
Interview: Heidi Haag, aménagiste MAS EPFZ
MétamorpHouse
Ce site Internet s’adresse en particulier aux communes et aux propriétaires de maisons individuelles. Les contenus qu’il propose visent à convaincre les propriétaires des avantages et de la faisabilité d’un développement de leur bien, de manière à les impliquer personnellement dans les processus de densification.
Des reportages vidéo consacrés à des projets de densification réalisés présentent les expériences faites par les propriétaires. Des animations abordent de façon parlante et concise, à l’aide d’exemples concrets, les principales questions que soulève la subdivision d’une maison individuelle en plusieurs logements: possibilités architecturales, importance des accès, assainissement énergétique, financement et rentabilité, avantages et inconvénients des différentes formes de propriété.