De la friche à la nouvelle place du village

Un nouveau centre prend forme dans la petite localité de Stetten, dans le canton d’Argovie. Ce projet d’aménagement est le fruit d’un processus de réflexion global, enclenché par différents facteurs: la volonté de bâtir de façon harmonieuse une friche existant depuis 25 ans, plusieurs projets visant une route cantonale et le souhait de la commune de se doter d’un centre de village animé. Les premières idées ont mûri lors d’une planification-test, qui a permis aux participant-es de composer un ensemble judicieux qui intègre le ruisseau du village, les futurs bâtiments et leurs utilisations, les éléments marquants du site construit, une place de village digne de ce nom et la route cantonale qui traverse le lieu. Le résultat a été fixé dans un plan d’affectation de détail habilement conçu et contraignant. Entre-temps, une grande partie du projet a été réalisée. Visite dans un centre de village presque terminé.
Rémy Rieder Géographe, EspaceSuisse

La commune rurale de Stetten est située dans la partie argovienne de la vallée de la Reuss, sur le flanc entre la rivière et le Heitersberg. Formant historiquement un village-rue, la commune n’a jamais possédé de véritable place de village et donc de lieu de rencontre pour ses quelque 2200 habitantes et habitants. Il en sera bientôt autrement, puisque le canton, la commune et un propriétaire foncier privé ont déposé fin janvier 2021 une demande de permis de construire pour la première place de village de la localité. Cette étape constitue le dernier chapitre d’une longue histoire, commencée il y a trente ans. Si tout se passe comme prévu, elle devrait se terminer en 2023.

La friche du site de Belinox AG a marqué durant 25 ans la physionomie du centre du village de Stetten. Photo: Planteam S

Un centre longtemps marqué par une friche et la route cantonale

Cette histoire débute au début des années 1990, lorsque l’entreprise Belinox AG ferme sa fabrique de Stetten et démantèle ses infrastructures. Elle laisse alors derrière elle un site de près de 10’000 mètres carrés, extrêmement bien situé au cœur de la localité, qui allait rester en friche et marquer la physionomie du centre du village pendant un quart de siècle. Pendant cette période, le site changea deux fois de propriétaire et fit l’objet de deux projets d’aménagement, mais aucun n’aboutit.

Selon Kurt Diem, le président de la commune, ces échecs s’expliquent par différentes raisons. Alors que le premier projet prévoyait quatre petites rues en cul-de-sac desservant chacune une maison familiale pour lesquelles l’investisseur ne trouva aucune personne intéressée, le second semblait tout droit sorti d’un tiroir. «Il n’aurait pas du tout passé dans le centre du village», résume Kurt Diem.

Le Conseil communal avait bien sûr sa petite idée sur la façon dont le centre du village devait se développer: «Nous avons toujours voulu quelque chose de spécial, quelque chose de particulier et de qualité élevée pour le centre du village. Nous voulions l’animer.» Un souhait bien compréhensible, d’autant plus que le site est bien desservi et qu’il est à proximité immédiate de l’administration communale, du jardin d’enfants, du restaurant Krone et de l’arrêt de bus.

Le centre du village de Stetten AG vu d’avion, 2019. Source: Office fédéral de topographie swisstopo

La commune signala donc aux propriétaires fonciers et aux investisseurs qu’elle était prête à discuter les conditions d’un éventuel aménagement. Cependant, se souvient Kurt Diem, l’idée que le Conseil communal se faisait du développement du centre était souvent à mille lieues de ce qu’imaginaient les investisseurs. Rétrospectivement, le président de la commune est soulagé qu’aucun des projets n’ait été poursuivi. «Nous avons aussi eu de la chance. Le site contaminé effrayait certaines personnes intéressées.»

La friche n’était cependant pas le seul défi à relever. Le centre de Stetten est en effet aussi traversé par la route de liaison cantonale K414, qui relie les localités voisines de Mellingen et Künten. À l’endroit où, juste en bordure du centre, la K414 forme l’Oberdorfstrasse, elle se rétrécit tellement que les voitures et les camions peuvent à peine se croiser, provoquant de fréquents embouteillages. En 2006, le trafic moyen de jour était de 5700 véhicules, tendance à la hausse. Une situation dont le canton était bien conscient. Par ailleurs, il fallait s’attendre à ce que le trafic de transit se modifie en raison du remplacement d’un pont sur la Reuss, au sud du village, et du contournement de Mellingen, deux projets de construction de route cantonaux.

«Il ne s’agissait pas en premier lieu de construire quelque chose, mais d’étudier de quoi pourrait avoir l’air une bonne solution d’ensemble.»
Martin Eggenberger, architecte et urbaniste, Planteam S

Une planification-test pour le centre du village

C’est dans ce contexte qu’en 2011, l’ancien site de Belinox changea une dernière fois de main et fut acquis par la société Creafonds AG, qui s’avéra être, pour la commune, un interlocuteur ouvert à un développement du centre. Ce coup de chance ne fut pas le seul, puisque le Conseil communal apprit par hasard par l’ancien aménagiste d’arrondissement cantonal qu’il existait une procédure d’aménagement qui pourrait être intéressante pour Stetten: la planification-test (voir encadré «La planification-test en bref»).

Rapidement convaincu par cet instrument, le Conseil communal réussit à communiquer son enthousiasme à Creafonds AG, et ils se mirent ensemble à la recherche d’un bureau d’aménagement capable de les aider dans cette démarche. Parallèlement, il fut possible d’associer au projet la communauté héréditaire qui était propriétaire d’une parcelle située à un emplacement clé entre la friche, la Mellingerstrasse et le restaurant Krone, un bâtiment protégé qui est aussi un élément d’identité du lieu.

La planification-test en bref

Dans sa ligne directrice pour le règlement SIA 143 (142i-604d), la Société suisse des ingénieurs et des architectes définit la planification-test de façon très générale comme suit:
Les planifications-test correspondent à des mandats d’étude parallèles ouverts pour des situations d’aménagement complexes, au cours desquels les équipes chargées du traitement et le collège d’experts cherchent la meilleure solution possible dans une démarche fondée sur le dialogue. L’échange ouvert entre le collège d’experts et les équipes de projet sur les travaux de conception favorise une compréhension commune de la problématique, des besoins et des options de solution.

En plus des équipes et du jury, il est possible d’associer les parties concernées comme des politiciennes et politiciens, des propriétaires fonciers et des groupes d’intérêts. Il n’y a pas à proprement parler de projet vainqueur. Toutes les équipes participantes reçoivent les mêmes honoraires. Les résultats d’une planification-test englobent les études conceptuelles ainsi que les connaissances acquises dans le cadre du dialogue; ils se présentent sous la forme de stratégies spatiales et de recommandations pour la suite des opérations. Tout cela fournit en général la base pour les étapes suivantes de la planification.

Le choix se porta sur le bureau Planteam S et l’architecte et urbaniste Martin Eggenberger, qu’EspaceSuisse a entre-temps réussi à s’adjoindre comme expert externe. Martin Eggenberger résume ainsi la situation de départ: «Le centre de Stetten offrait un triste tableau. De fait, il ne s’agissait pas en premier lieu de construire quelque chose, mais d’étudier de quoi pourrait avoir l’air une bonne solution d’ensemble.» Pour lui, il était évident qu’un tel projet ne pourrait être traité de façon appropriée que par un processus fondé sur le dialogue.

Dans la planification-test, le jury joue un rôle central. Il voit tous les concepts proposés, écoute les explications des bureaux invités et obtient des réponses aux questions posées. «C’est un avantage considérable, souligne l’urbaniste Eggenberger, les arguments sont immédiatement compréhensibles pour tous. Un argument qui persuade le jury persuade aussi l’investisseur.» Et aussi les autres participants qui jouent un rôle déterminant dans le processus, raison pour laquelle le jury de la planification-test avait été composé de façon très large: en plus du président de commune et des conseillers communaux, des propriétaires fonciers et des investisseurs, le collège d’experts comportait aussi l’aménagiste d’arrondissement cantonal et le directeur du Service cantonal du développement urbain et des sites construits.

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Le rétrécissement de l’Oberdorfstrasse à l’entrée du centre du village rend le croisement des véhicules difficile. Photo: R. Rieder, EspaceSuisse

Variantes, discussions et résultat inespéré

La planification-test pouvait commencer. Entre décembre 2011 et mai 2012, trois équipes invitées élaborèrent plusieurs variantes pour le futur aménagement du centre, qu’elles présentèrent lors de deux séances. Le matin, les propositions étaient discutées avec toutes les équipes, et le centre du village était passé à la loupe pour en dégager les particularités et les caractéristiques. L’après-midi, le jury se réunissait seul. «Lorsque les équipes ne sont pas là, le jury peut discuter ouvertement des approches présentées et mettre les points sur les i s’il le faut, ce qui est important!», dit Martin Eggenberger en riant. Outre qu’elles servirent à mettre en évidence les forces et les faiblesses des propositions, ces discussions permirent aussi aux experts cantonaux d’en noter les avantages et inconvénients, ce qui leur fut utile par la suite, de retour dans leur service, lors des discussions internes ou avec des représentants d’autres département. Le jury faisait ensuite part de ses commentaires aux équipes pour qu’elles puissent poursuivre leur travail. Progressivement, une variante se dégagea et fut largement favorisée lors de la séance finale du jury. Sans que cela ait été prévu, la démarche accoucha de façon surprenante d’un concept clairement favori pour le projet directeur et le plan d’affectation de détail.

À la suite de la planification-test, l’investisseur chargea l’équipe auteure du projet retenu, le bureau Schneider + Schneider Architekten d’Aarau, d’établir le projet directeur pour le plan d’affectation de détail. Détail intéressant, l’investisseur n’avait, au début de la planification-test, pas voulu s’engager par contrat à confier la poursuite du mandat à l’équipe proposant le meilleur projet. Un point que Martin Eggenberger explique ainsi: «Il ne voulait pas se lier à des architectes avec qui il n'avait encore jamais travaillé. À la fin, tout s’est cependant très bien passé.» Grâce à l’attribution de la suite du mandat au bureau Schneider + Schneider, le projet pu se développer sans problème et de manière contrôlée.

Le plan d’affectation de détail «Zentrum Oberdorf» est contraignant pour les propriétaires. Il fixe l’implantation des constructions, les dimensions de la place du village et le tracé de la route cantonale. Source: Gestaltungsplan Zentrum Oberdorf, Gemeinde Stetten

Du projet au plan contraignant: comment assurer la qualité?

Il n’est pas rare que des projets initialement bien pensés perdent en qualité au cours des étapes menant à leur réalisation. Le point crucial à cet égard réside souvent dans la transposition des éléments qualitatifs, définis lors des phases d’étude et de projet directeur, dans les instruments de planification contraignants. Martin Eggenberger identifie trois points particulièrement importants pour garantir la qualité:

  1. un projet (directeur) soigneusement élaboré,
  2. des prescriptions spéciales bien rédigées et expliquées,
  3. des avis spécialisés pour les projets de construction concrets.

Le plan d’affectation de détail «Zentrum Oberdorf» tient compte de tous ces points:

  • Point 1: au milieu de l’année 2014, le projet directeur avait atteint un niveau qui permettait d’en faire un élément clé des directives spéciales. «Lorsqu’on a un bon projet directeur, cinq articles suffisent en général dans le plan d’affectation de détail. Il suffit que l’un d’eux indique qu’il faut s’en tenir aux éléments du projet directeur pour que le tour soit joué!»
  • Point 2: les prescriptions spéciales comprennent 27 articles. Certains sont des articles typiques qui limitent la hauteur des bâtiments, fixent le nombre des places de stationnement et les secteurs constructibles ou définissent schématiquement les chemins piétonniers et cyclables. D’autres entrent davantage dans le détail: un article limite l’utilisation des rez-de-chaussée le long de la Mellingerstrasse et de l’Oberdorfstrasse et autour de la future place du village aux commerces, à la restauration, aux services et aux espaces communs, afin de contribuer à l’animation de la place du village. Un autre précise que le rezde-chaussée du Krone ne peut être utilisé que pour la restauration, mais autorise un agrandissement pour autant qu’il soit de qualité élevée. D’autres encore règlent ponctuellement la conception des façades.
  • Point 3: les prescriptions spéciales exigent que tous les projets de construction fassent l’objet d’un avis spécialisé afin d’en apprécier la qualité. Pour les espaces extérieurs, un plan consolidé de l’aménagement des abords doit être remis avec la première demande de permis de construire.
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Les prescriptions spéciales précisent que le rez-de-chaussée du restaurant Krone devra servir à la restauration.
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Un agrandissement pourra être réalisé dans ce but, à condition que la qualité soit au rendez-vous. Photos: H. Haag, EspaceSuisse (à gauche); R. Rieder, EspaceSuisse (à droite)

Enfin, le plan d’affectation de détail fixe de manière contraignante l’étendue de la future place du village, de façade à façade, en incluant la Mellingerstrasse et l’Oberdorfstrasse (K414). Ce qui, à première vue, pourrait sembler être un empiètement sur la souveraineté de planification du canton en matière de route cantonale s’avère, à y regarder de plus près, être une interaction habilement conçue.

En ce qui concerne l’aménagement de la place du village et de la route cantonale, les directives spéciales mentionnent systématiquement la nécessité d’une coordination avec le concept d’exploitation et d’aménagement cantonal. Le canton a établi le concept de 2015 et 2016 en étroit contact avec la commune, de façon à pouvoir remplir les exigences liées à la fonctionnalité de la K414 et à tenir compte autant que possible du plan d’affectation de détail contraignant pour les propriétaires fonciers. Ce concept a ensuite servi de ligne directrice au canton pour ses projets d’aménagement routier en lien avec la K414 (voir l’encadré «Propos du canton»).

Une mise en œuvre qui finit bien

Beaucoup de choses se sont passées depuis l’approbation du plan d’affectation de détail en 2015. Creafonds AG a acquis le bien-fonds de la communauté héréditaire. Sur cette parcelle et sur l’ancien site de Belinox, elle a réalisé, en collaboration avec le bureau Schneider + Schneider, six immeubles résidentiels avec 14 appartements en copropriété et 61 appartements locatifs, auxquels il faut ajouter plus d’une dizaine de surfaces pouvant accueillir des services, des bureaux ou des commerces, ainsi que des espaces de loisirs. Deux parkings souterrains offrent de nombreuses places de stationnement pour voitures et vélos. La Fabrikstrasse a été refaite, le tronçon du ruisseau remis à l’air libre coule dans son nouveau lit, et l’implantation des nouvelles constructions a su préserver la vue à travers les espaces verts sur le clocher de l’église, la nouvelle place du village ou en direction de Künten.

Tout n’est pas encore achevé. La route cantonale doit être réaménagée, l’arrêt de bus installé à son nouvel emplacement, la place du village réalisée et la fontaine du village déplacée. Le processus se poursuit. La première étape de la place du village devrait être mise en œuvre en 2021. La demande de permis de construire a été déposée. Si tout se passe bien, la place pourra être inaugurée en 2023. Pour cela, il faut aussi un peu de chance – et il semble bien qu’elle ait élu domicile à Stetten.

Propos du canton

Le Département des constructions, des transports et de l’environnement du canton d’Argovie a approuvé le plan d’affectation de détail «Zentrum Oberdorf» pour Stetten en 2015. Ce plan contient des indications relatives à la nouvelle place du village qui sont contraignantes pour les propriétaires fonciers. Ces indications ont aussi des conséquences pour la route cantonale, dont elles fixent le tracé à travers le centre de la localité, et peuvent donner l’impression d’empiéter sur la souveraineté de planification du canton. Voici comment le Département explique les raisons pour lesquelles il a quand même approuvé le plan: «La planification-test et le projet directeur ‹Zentrum Oberdorf› formaient une base appropriée pour la forme que devrait prendre le développement du centre: un bâti moderne, relativement dense, une place de village et, derrière celle-ci, un parking souterrain. Le plan d’affectation de détail fixe les résultats de la planification-test et du projet directeur, définit le cadre du réaménagement du centre et garantit sa mise en œuvre.

Comme l’espace routier jouait un rôle déterminant pour la réussite de la valorisation du centre, les parties concernées ont opté très tôt pour un processus basé sur l’échange. Elles ont ainsi pu définir ensemble le cadre général et coordonner les objectifs d’aménagement et de circulation. Cette coordination en amont du développement du milieu bâti et de l’aménagement de l’espace routier a permis de poser, dès le plan d’affectation de détail, les jalons à même de valoriser le centre et d’aménager harmonieusement la nouvelle place du village. C’est pour cette raison que le périmètre d’aménagement comprend, en plus du secteur affecté aux nouvelles constructions, l’espace formé par la route cantonale, y compris les espaces extérieurs adjacents – ce qui n’est, en général, pas de règle dans le canton d’Argovie.


Un défi particulièrement complexe à relever fut de concevoir l’aménagement et les détails de l’espace routier dans le plan contraignant pour les propriétaires fonciers, de façon à garantir les caractéristiques essentielles de la requalification de l’espace routier sans trop limiter la marge de manœuvre nécessaire pour la fonctionnalité du projet routier proprement dit. Dans le canton d’Argovie, les projets de travaux routiers coordonnent déjà depuis longtemps les aspects relatifs au milieu bâti et à la circulation. La question de savoir s’il est judicieux d’intégrer les éléments relatifs à l’aménagement d’une route cantonale dans un plan d’affectation de détail dépend de divers aspects et doit être examinée au cas par cas. La situation de Stetten fut un processus d’apprentissage pour toutes les parties concernées, et le résultat est réjouissant.»

La parole à Kurt Diem 

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Kurt Diem est membre du Conseil communal de Stetten AG depuis 2006. Employé de commerce de formation, ce planificateur en logistique est président de la commune depuis 2010.

Kurt Diem, vous avez accompagné le développement du centre de Stetten depuis le début. Êtes-vous satisfait du résultat?

Lorsqu’on s’occupe aussi longtemps d’un projet, on se réjouit quand à la fin quelque chose a lieu et prend forme. Nous avons imaginé tant de fois de quoi ce projet aurait l’air! Aujourd’hui, nous l’avons sous les yeux, et il est à peu près comme on nous l’avait montré sur les plans lors des présentations et des discussions. Je dois dire honnêtement que je suis très content du  résultat et que je le trouve beau. Les formes choisies et aussi les toits plats que nous avons autorisés pour le centre du village vont tout à fait dans le sens de ce que le Conseil communal avait imaginé pour ce projet.

C'est ici que la place du village sera aménagée. Les nouveaux locaux du rez-de-chaussée sur la Mellingerstrasse (bâtiment sur la gauche) seront affectés au commerce, à la restauration et aux services. Photo: R. Rieder, EspaceSuisse

Qu’est-ce qui vous plaît tout particulièrement?

Il y a 40 ans, nous avons dû enfouir le ruisseau pour un demimillion de francs. Aujourd’hui, on dit qu’en cas de travaux d’aménagement, il faut si possible remettre les cours d’eau à l’air libre. Au début, cela nous a irrités et nous avons pensé laisser le ruisseau enterré. Les investisseurs, eux, ont tout de suite vu que sa remise à l’air libre aurait pour effet de valoriser le centre. Ils nous ont donc motivés à réaliser cette mesure. Avec le recul, ce fut une très bonne décision. C’est devenu très beau! Le ruisseau qui serpente entre les maisons, les pierres naturelles et la prairie tout autour – c’est ce que je préfère dans l’ensemble!

Y a-t-il aussi des points critiques?

La remise à ciel ouvert du ruisseau a coûté très cher à la commune. Pour assurer le débit en cas de fortes crues, nous avons dû poser de plus gros tuyaux là où le ruisseau passe sous la route. Au final, nous avons dû investir 1,8 million de francs supplémentaires dans l’infrastructure. Cela nous a d’abord fait un peu peur.

«Les toits plats, dans le centre du village, confirment aussi la vision du Conseil communal.»
Kurt Diem, président de la commune de Stetten AG

C’est une somme considérable. Comment l’avez-vous expliqué à vos concitoyennes et concitoyens – et quelle fut leur réaction?

Je préfère présenter tous les aspects d’un projet, aussi les points négatifs. Cela n’a pas été très heureux de vendre d’abord à la population un beau projet avec une place de village qu’elle pourrait contribuer à aménager et qui serait principalement payée par les investisseurs, puis, seulement six mois plus tard, alors que le changement de zone et le plan d’affectation de détail avaient été approuvés, de demander encore un crédit de 1,8 million de francs. J’aurais bien voulu le savoir plus tôt. C’est pour moi l’ombre au tableau. Mais en tant que président de commune, on doit prendre ses responsabilités, faire face à l’Assemblée communale et expliquer que de nouvelles informations sont apparues que l’on n’avait pas auparavant. J’ai aussi dû expliquer que Stetten s’était engagée, que les dispositions légales sur ce point étaient claires et qu’au final, tous les habitants en profiteraient. La population l’a bien compris.

Le ruisseau à ciel ouvert, les grandes pierres et la prairie naturelle tout autour sont ce qui plaît le plus à Kurt Diem, le président de la commune. Photo: H. Haag, EspaceSuisse

Le fait que la route cantonale traversera le centre par la place du village n’a jamais été discuté ou contesté?

Non, jamais. Nous savions dès le début que la route cantonale devrait être intégrée au centre. Notre idée était d’aménager le centre du village de façade à façade. Nous savions aussi que le canton devrait un jour refaire sa route. C’est la raison pour laquelle des représentants du canton ont joué un rôle actif dès la phase de la planification-test. Ils nous ont ensuite beaucoup soutenus au moment de l’élaboration du projet de réaménagement de la route cantonale.

Centre du village, aménagement de façade à façade, route cantonale... La situation de départ était complexe. Comment s’est déroulée à cet égard la collaboration avec les services cantonaux?

Le secrétaire communal et moi-même nous sommes rendus plusieurs fois à Aarau et nous avons même rencontré une fois le conseiller d’État Stephan Attiger, le chef du Département des constructions, pour discuter de la route cantonale. Nous avons pu lui faire part de notre mécontentement au sujet du projet de rond-point de 38 mètres de diamètre que prévoyaient à cette époque les premiers plans du Service des routes. Il a
alors fait de ce projet une priorité et a pu faire entendre raison aux personnes chargées de la planification des transports. Le rapport avec le chef de projet des ponts et chaussées fut aussi une épreuve de force au début, car ni lui ni nous n’étions prêts à céder sur certains points.

Finalement, nous nous sommes mis d’accord sur le fait que nous poursuivions tous le même objectif, à savoir réaliser une traversée du village attrayante sans démolir de maison. À partir de ce moment, les deux parties ont été prêtes à faire des compromis – même en dehors des normes. La collaboration a ensuite vraiment bien fonctionné. Mais le canton comporte plusieurs services qui doivent en partie se coordonner entre eux, et les choses ne se déroulent pas toujours harmonieusement!

«Le président de la commune doit faire face à l’Assemblée communale et expliquer que de nouvelles informations sont apparues.»
Kurt Diem, président de la commune de Stetten AG

Vous avez mentionné la planification-test. La population a-t-elle aussi été associée au processus?

Il y a eu une participation publique sous la forme d’une réunion d’information, mais les discussions n’ont porté que sur des détails. Je reviens au cours d’eau: comme la berge était très en pente, le canton voulait poser une barrière. La population trouvait cela dommage, car elle souhaitait que l’on puisse accéder au ruisseau, aussi pour les enfants, et que l’on renonce donc à une barrière. Le Conseil communal a pris ce point au sérieux. Nous sommes intervenus auprès du canton, et après une ou deux séances, celui-ci s’est montré conciliant et a cherché avec nous une solution de compromis. Des remarques importantes concernant la propagation du bruit ont aussi été exprimées.

De quoi était-il exactement question en ce qui concerne le bruit?

Lors de la séance d’information, plusieurs citoyennes et citoyens ont exprimé leur crainte que, du fait de leur trop grande hauteur, les façades des nouvelles maisons sur la Mellingerstrasse renvoient le bruit vers la partie basse du village. Il nous fallait donc choisir entre deux options: soit nous prenions simplement connaissance de ces craintes, avec, au pire des cas, le risque que le processus soit retardé en raison d’oppositions jusque devant le Tribunal fédéral, soit nous étudions s’il existait des alternatives. Les architectes ne voulaient pas modifier le projet et les investisseurs craignaient des pertes de revenus. Or, en tant que président de commune, on est au milieu et l’on doit servir d’intermédiaire. Les discussions ont permis de trouver une solution avec laquelle tout le monde était satisfait (Note de la rédaction: voir l’image ci-dessous). Lorsque ce point fut ensuite traité à l’Assemblée communale, il n’a plus été nécessaire de le discuter.

Les habitants craignaient que la hauteur des nouveaux bâtiments de la Mellingerstrasse favorise la propagation du bruit par réflexion. La solution: la partie médiane du bâtiment a un niveau de moins, et son toit sert de terrasse aux appartements situés à droite et à gauche. L’investisseur a perdu un logement, mais en échange, il a pu en valoriser deux. Photo: R. Rieder, EspaceSuisse

Vous parlez là de la participation après la planification-test. Mais qu’en a-t-il été durant celle-ci?

Aucune participation n’a eu lieu durant la planification-test. Seuls les propriétaires fonciers y étaient associés. Nous ne nous sommes adressés à la population pour lui permettre de participer que lorsque le projet favori, issu de la planification-test, avait été désigné et que nous étions en mesure de lui présenter le projet directeur. Ensuite, il y a bien sûr eu la mise à l’enquête publique du plan d’affectation de détail, et lors du projet de construction concret, la participation prévue par la loi lors de la procédure de demande de permis de construire.

Les 250’000 francs qu’a coûté la planification-test n’étaient pas une raison suffisante aux yeux de la population pour avoir son mot à dire?

Nous avons su très tôt que la planification-test coûterait une telle somme. Nous étions alors trois propriétaires fonciers: la commune, Creafonds AG et une communauté héréditaire. La répartition des coûts fut longuement discutée. La commune n’apportait que très peu de terrain, mais nous voulions absolument avoir notre mot à dire. La communauté héréditaire était d’accord de participer jusqu’à un certain point, mais n’était pas prête à simplement diviser les coûts en trois. Au final, il sembla à tous que la solution la plus juste consistait à répartir les coûts proportionnellement aux surfaces des parcelles amenées par chaque partie. La commune n’a donc participé aux coûts qu’à hauteur de 25’000 francs, sans que cela influence la répartition des voix du jury lors de l’appréciation des projets. Pour le contribuable, le montant était donc relativement insignifiant, et personne n’en a déduit une obligation d’être consulté.

«La commune n’apportait que très peu de terrain, mais nous voulions absolument avoir notre mot à dire.»
Kurt Diem, président de la commune de Stetten AG

Quel conseil donneriez-vous à vos collègues syndics pour des projets semblables?

Lorsqu’on a une idée claire de ce qui devrait se faire, il vaut toujours la peine de se battre pour celle-ci. Le Conseil communal a toujours été absolument convaincu par le projet – et d’agir pour le bien du village. La population doit être associée suffisamment tôt. Il est toujours important qu’elle reçoive des informations de source officielle. D’ailleurs, même lorsque c’est le cas, les rumeurs vont bon train et il y a toujours quelqu’un pour prédire le malheur. Il faut prendre cela au sérieux. Nous avons toujours écouté les avertissements et les avis négatifs et essayé de faire face à la critique de façon constructive et d’y répondre par voie officielle. Beaucoup de questions étaient justifiées! Je dis toujours à mes collègues que nous répondons de quelque chose. Nous vendons des projets à la population et nous ne pouvons y parvenir que si nous arrivons à lui transmettre notre enthousiasme. Il ne faut pas oublier qu’à la fin, le souverain dit oui ou non. Et si quelque chose ne passe pas, eh bien, c’est la démocratie.

Interview: Rémy Rieder

Inforum 1/2021: Zoom sur Stetten AG

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