La petite ville aux allures de grande

Délocalisation du commerce de détail, disparition de l’industrie textile, recul du secteur des services: la commune et son pittoresque centre historique se sont longtemps trouvés pris dans un cercle vicieux. Les autorités n’ont toutefois pas baissé les bras – bien au contraire. Leur engagement indéfectible a valu à Lichtensteig le Prix Wakker 2023. Retour sur les développements des 15 dernières années.
Florian Inneman, géographe et aménagiste, EspaceSuisse
La vieille ville de Lichtensteig – inscrite à l'ISOS – se présente sous le soleil au-dessus de la Thur. Toutes les photos (sauf indication contraire) : Florian Inneman, EspaceSuisse.

Du fait des évolutions susmentionnées, Lichtensteig se trouvait dans une situation difficile. Dans de tels cas, la question se pose souvent de savoir qui est responsable du désastre. Il est donc apparu nécessaire de parvenir à une compréhension partagée des problèmes. Pour ce faire, la commune a sollicité l’aide du Réseau vieille ville, dont la création était encore récente à l’époque (il est aujourd’hui intégré à l’offre de conseil en aménagement d’EspaceSuisse). Dans un premier temps, une analyse de la ville a permis aux acteurs locaux d’obtenir un éclairage extérieur sur la situation, et de prendre conscience que d’autres communes étaient confrontées à des défis similaires. Durant cette première phase, l’analyse s’est accompagnée de l’élaboration d’une stratégie en matière de logement (l’ancêtre de l’actuelle stratégie de valorisation): comme il ne fallait pas s’attendre à ce que le commerce de détail fasse son retour au centre-ville, il s’agissait de miser davantage sur l’habitat. Pour susciter une évolution dans ce sens, il fallait collaborer avec les propriétaires. Mais comment les amener à la table de discussion?

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Vivre dans la vieille ville : un balcon crée un lien avec l'extérieur...
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...et augmente en conséquence la qualité de l'habitat (mais ce n'est pas possible partout).

Un bar érotique indésirable

En vieille ville, une demande d’autorisation avait été déposée pour un bar érotique. Pour les propriétaires d’immeubles du périmètre, qui ne voulaient pas d’une telle évolution, cela a eu un effet fédérateur. La situation était propice à la mise sur pied d’un premier «club de rue» – un instrument proposé par le Réseau vieille ville, qui permet aux propriétaires d’une même rue de mener des discussions sur des sujets de préoccupation partagés. L’objectif est d’élaborer une stratégie commune pour l’ensemble de la rue et de garantir ainsi une certaine sécurité en matière d’investissements. Compte tenu de l’influence réciproque des différentes activités au sein d’un périmètre donné, il est important de définir de façon coordonnée l’affectation des immeubles, en particulier celle des rez-de-chaussée. D’autres clubs se sont ensuite constitués dans d’autres rues. C’est dans ce cadre qu’a été lancé le concept des «rues grises» et des «rues vertes», qui visait à limiter l’implantation des activités génératrices de nuisances aux rues à fort trafic, et à privilégier le logement dans les rues moins fréquentées. Cette stratégie a ensuite été inscrite dans le plan d’affectation communal lors de sa révision.

L’accès au bar érotique projeté se serait fait depuis une rue «verte». La commune a d’abord réagi en édictant une zone réservée. Un plan d’affectation spécial a ensuite défini, de façon juridiquement contraignante, par quelles rues les locaux commerciaux et artisanaux pouvaient être desservis en vieille ville – ce qui a entraîné l’abandon du projet de bar.

Le vert n’a pas remplacé le gris

Si le concept des rues vertes a joué un rôle important dans le cadre de la révision du plan d’affectation, il ne s’est pas (encore) pleinement concrétisé dans son esprit originel. En effet, il ne portait pas seulement, au départ, sur la question des accès. L’objectif était aussi de renforcer la fonction résidentielle en vieille ville. Comme les espaces extérieurs font souvent défaut dans les centres historiques, l’idée était d’encourager les habitants à s’approprier l’espace-rue en y installant bancs, tables et autres bacs à fleurs. Or, cette appropriation n’a toujours pas eu lieu, et les raisons n’en sont pas tout à fait claires. Est-ce parce que les gens n’ont pas connaissance des possibilités qui leur sont offertes, ou parce que les besoins sont tout simplement inexistants?

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Une visualisation de la stratégie habitat 2010 propose une vision d'une ruelle verte et vivante.
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La situation en 2021 – au même endroit.

Une occasion manquée?

En sensibilisant les propriétaires aux enjeux de la révision du plan d’affectation dans le périmètre de la vieille ville, les clubs de rue ont largement contribué, en amont, à ce que la révision soit acceptée. Or, au terme de la procédure de planification, ces lieux de discussion privilégiés ont été dissous. Rétrospectivement, on peut se demander s’il n’aurait pas été judicieux de les reconduire jusqu’à un certain point. Cela aurait permis de maintenir un canal de communication direct entre les autorités et les propriétaires. Ces structures auraient par ailleurs pu se révéler utiles pour mieux intégrer les nouveaux propriétaires lorsque certains immeubles ont changé de mains. D’un autre côté, le maintien de tels groupements requiert certaines ressources, ainsi qu’une définition claire des objectifs et des tâches. La question de savoir s’il aurait été pertinent de pérenniser les clubs de rue à Lichtensteig reste donc ouverte.

Analyses d’immeuble

Que ce soit dans un centre de village ou une vieille ville, conserver la substance bâtie historique constitue une tâche exigeante. Aussi certains propriétaires ne savent-ils pas comment faire évoluer leur immeuble. À Lichtensteig, ils ont été nombreux à recourir à l’instrument de l’analyse d’immeuble, qui permet aux propriétaires d’obtenir, dans des délais relativement courts, un concept d’entretien et de développement pour leur bien. Les coûts correspondants – qui se montent à environ 7000 francs par objet – ont été répartis à parts égales entre le canton (1/3), la commune (1/3) et les propriétaires (1/3).

Au total, une quinzaine d’analyses d’immeuble ont été effectuées. Dans plusieurs cas, l’étude a donné lieu à une transformation ou à un agrandissement. Il est aussi arrivé que certains propriétaires investissent dans leur bien sans recourir à cet instrument – même s’ils ont sans doute été influencés, du moins en partie, par les décisions des autres. Dans d’autres cas, les réflexions ont débouché sur un changement de mains. Certains, enfin, n’ont rien entrepris du tout – c’est aussi une réalité.

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On a investi ici sur la base d'une analyse d'immeuble.

La plupart des analyses d’immeuble ont eu lieu entre 2010 et 2012. La région Toggenburg a ensuite repris l’instrument au niveau régional en tant qu’organisme porteur, avec une clé de répartition des frais différente. Avec le recul, il apparaît que l’analyse d’immeuble ne porte vraiment ses fruits que si elle s’accompagne de mesures de communication et de financement. À Lichtensteig, ce sont les clubs de rue qui ont préparé le terrain.

Exploiter les locaux vacants

Bureaux, bâtiments industriels, surfaces commerciales – à Lichtensteig, les locaux vacants sont un problème récurrent. Mais la manière dont la commune le gère est exemplaire: elle veille à ce que les espaces continuent d’être utilisés en accueillant des activités adaptées au lieu. Ainsi l’administration communale a-t-elle occupé l’immeuble que venait de quitter une banque, tandis que l’hôtel de ville a été reconverti en centre culturel (=> voir l’article y relatif sur Densipedia). Et lorsque la poste a fermé ses portes, un espace de travail partagé ouvert au publica été aménagé dans le bâtiment. Les autorités ont même décidé de vider l’ancien hangar des sapeurs-pompiers, qui servait d’entrepôt, pour permettre à un magasin de s’y installer. Cette gestion active des surfaces vacantes contribue à maintenir une certaine diversité d’activités au centre-ville.

À gauche, l'ancien bâtiment communal, qui est désormais "l'hôtel de ville pour la culture". À droite, l'ancien bâtiment de bureaux qui abrite désormais l'administration communale.

Une démarche de longue haleine

À partir de 2013, la commune a commencé d’impliquer d’autres groupes de population. Pour débattre de l’avenir de la ville, elle a organisé une conférence qui a réuni près de 140 personnes, et dont ont résulté douze projets portant sur différentes thématiques à l’échelle de toute la localité (santé, biodiversité, énergie, etc.). La participation a permis d’encourager les acteurs locaux à s’investir, les différents locaux vacants offrant à la commune la possibilité de tester ou concrétiser certaines idées.

En 2017, les autorités ont lancé le label et la stratégie «Mini.Stadt», qui visent à clarifier le positionnement de la commune et à favoriser l’augmentation de la population résidente. En 2021 a ensuite été adoptée une stratégie de développement à l’horizon 2050.

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Le label Mini.Stadt est également présent dans les ruelles.

La commune de Lichtensteig se distingue par la réflexion qu’elle mène, législature après législature, sur son propre développement – une démarche qui doit beaucoup aux deux maires Roger Hochreutner et Mathias Müller. Avec sa gestion innovante des surfaces vacantes et les autres solutions originales qu’elle apporte à ses problèmes, la commune n’est certes pas en mesure d’inverser le cours du temps, mais au moins parvient-elle à se réinventer. Le Prix Wakker 2023 récompense ces efforts.

Même si ce n'est plus tout à fait comme avant, la rue principale de Lichtensteig reste encore animée.
Après une longue période de baisse, la population de la commune croît à nouveau: en 2023, la barre des 2000 habitants a été à nouveau franchie, après 25 ans. On devrait voir moins de panneaux "appartement à louer" à l'avenir (photo de 2021).

 

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