Appenzell Rhodes-Extérieures: «analyse d’immeuble», un modèle réussi

Une initiative de l’Office fédéral du logement OFL lancée en 2006 est devenue un modèle réussi dans le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures. Un procédé normalisé d’analyse des biens fonciers aide les propriétaires à évaluer leurs bâtiments. Soutenue par le canton et désormais inscrite dans la loi sur les constructions, cette «analyse d’immeuble» clarifie la situation lors de la rénovation d’objets anciens. Dans ce canton, les bâtiments font en effet partie des plus vieux de Suisse. La demande est donc importante.
David Steiner, géographe

Les principaux résultats de cet exemple:

  • L’analyse d’immeuble donne des indications sur la valeur actuelle du bien immobilier.
  • L’analyse d’immeuble permet de développer un concept intégrant les exigences des propriétaires.
  • Dans le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures, l’instrument de l’analyse d’immeuble a pu être ancré au niveau politique.
  • Une cellule créée au sein de l’administration s’est rapidement établie comme interlocutrice et bureau de coordination.
  • La collaboration avec le service du patrimoine cantonal est décisive et contribue largement au succès de l’analyse.
  • Un échange régulier d’expériences entre les architectes est garant de qualité.

La scène qui se déroule à l’extérieur est digne d’un spot télévisé: l’été touche à sa fin, le ciel est sans nuages et le soleil a presque atteint le zénith. Il ne brille toutefois plus avec la même intensité qu’il y a encore quelques jours. Si la différence est minime, ses effets sont perceptibles. Bientôt, l’été fera place à l’automne, avec son cortège de couleurs chatoyantes. Indifférentes à ces infimes variations, patientes, fières et stoïques, des vaches paissent dans les prairies verdoyantes d’un merveilleux paysage vallonné, avec l’impassibilité qui les caractérise.

Le regard de l’observateur s’arrête sur la silhouette des fermes isolées, témoignant toutes d’un langage architectural commun. Les façades imposantes sont marquées par des fenêtres en bandeau symétriques, des volets encastrés et des couleurs vives: ici, les balcons n’existent pas. Orientée vers le sud, l’habitation est complétée d’un rural transversal. Le faîte croisé réunit les deux éléments en un ensemble harmonieux, typique de la région. Entre les fermes isolées, les espaces verts sont généreux. Les bâtiments sont souvent seuls, rarement en groupes épars de deux ou trois, une autre caractéristique typique de la région. Je suis dans le train, en Appenzell, quelque part entre Herisau et Bühler, le but de mon voyage. Durant le trajet, je vais franchir deux fois les frontières du demi-canton, sans que cela vienne troubler la contemplation du paysage. Au contraire: le trajet ne fait que confirmer ce que je savais déjà. Les collines appenzelloises et leur impressionnante culture du bâti sont uniques.

Caption
Appenzell: de douces collines et une architecture marquante. Photo: B. Jud, EspaceSuisse

Arrivé à Bühler, je constate que le petit buffet de la gare, un mélange de kiosque, de boutique pour pendulaires et de café, est fermé. Il est midi et la gare semble assoupie. La villa de la famille d’industriels Tischhauser n’est qu’à un jet de pierre de là, à la Dorfstrasse 82. Cette belle maison est la propriété de l’entreprise Tisca Tischhauser AG. J’ai rendez-vous avez Monsieur Tischhauser. La raison de ma visite n’est en effet pas le paysage vallonné, mais la culture appenzelloise du bâti ainsi qu’une affaire qui me tient particulièrement à cœur. L’imposant bâtiment a été rénové il y a quelques années et rayonne désormais d’un éclat retrouvé. Une métamorphose qui a débuté par une «analyse d’immeuble». Mais nous y reviendrons plus tard.

Le bâtiment de la Dorfstrasse 82, à Bühler, a été entièrement rénové. Une métamorphose qui a débuté par une analyse d’immeuble. Photo: D. Steiner.

Une rénovation nécessaire

Outre le paysage et l’architecture exceptionnelle, la part élevée de bâtiments anciens fait d’Appenzell Rhodes-Extérieures un cas à part en Suisse. Sur un parc immobilier de quelque 24 000 bâtiments, 47 pour cent ou près de 11 000 objets ont plus d’un siècle. À titre de comparaison, la moyenne suisse de bâtiments anciens est de 18 pour cent. Ce n’est donc pas une surprise si les besoins en rénovation sont importants dans le canton. Si l’entretien a été négligé ou même complètement «oublié» au cours des dernières années ou décennies, des travaux considérables voire, dans de rares cas, la démolition attendent les propriétaires. Ce n’est pas le cas à la Dorfstrasse 82, où l’imposante bâtisse de trois étages date du début du 19e siècle.

La famille d’entrepreneurs Tischhauser a reconnu suffisamment tôt la nécessité d’investir dans la conservation du bâtiment. Urs Tischhauser, l’ancien patron de la fabrique de textiles Tisca, connue bien au-delà des frontières cantonales, renseigne fièrement le visiteur. Cela fait déjà longtemps qu’il a cédé la direction opérationnelle de la société à ses trois fils. On le trouve cependant presque tous les jours dans son bureau. «C’est une bonne chose que la tradition familiale se poursuive et que le passage de témoin à la génération suivante ait eu lieu.» Lui-même avait aussi repris les affaires de son père en son temps. Tisca est aujourd’hui un groupe d’entreprises actif à l’échelle mondiale, employant presque 400 personnes sur ses différents sites. Les attentes d’Urs Tischhauser à l’égard de la rénovation de la bâtisse de la Dorfstrasse 82 n’étaient pas modestes: «Nous voulions bien faire les choses», souligne-t-il d’un clin d’œil.

Il s’est donc adressé au service cantonal du patrimoine pour obtenir l’aide nécessaire. C’est Fredi Altherr, son directeur à l’époque, qui lui a appris que le canton offrait la possibilité de faire analyser les anciens bâtiments «caractéristiques du site» par des spécialistes. Cette évaluation professionnelle est effectuée avant l’achat, la vente, la transformation ou la réaffectation de bâtiments entrant dans cette catégorie. Elle décrit les besoins en matière d’entretien, la norme énergétique, les possibilités de transformation et la rentabilité du bâtiment au moment de l’analyse et après les travaux de rénovation ou de transformation.

Caption
Vue de profil avant transformations. Photo: bm architekten eth sia
Caption
Un nouvel éclat pour la maison ancienne. Photo: D. Steiner.

De l’«Immocheck» à l’«analyse d’immeuble»

Fredi Altherr a contribué de manière déterminante à ancrer avec succès l’instrument de l’analyse d’immeuble dans son canton. Tôt déjà, il entretenait des contacts avec Urs Brülisauer, cofondateur du centre de compétences «Réseau vieille ville» et co-inventeur de l’«analyse d’immeuble», appelée «Immocheck» à ses débuts. Démarré en 2006 sous forme de travail de recherche de l’Office fédéral du logement OFL, cet instrument d’évaluation des bâtiments a connu un franc succès au cours des années suivantes. L’«analyse d’immeuble» n’a cessé d’être affinée, perfectionnée et testée dans la pratique. Aujourd’hui, elle est même inscrite dans la loi cantonale sur les constructions. L’article de loi correspondant sert de fondement à l’encouragement de l’analyse d’immeuble par le canton. Avant cela, l’instrument faisait partie des deux derniers programmes cantonaux «Construction et habitat». Le canton tient particulièrement à préserver la substance des bâtiments anciens. Il prend en charge un tiers des 6000 francs que coûte l’analyse, contribuant ainsi à préserver la culture du bâti exceptionnelle de la région.

Ancien responsable du service du patrimoine cantonal, Fredi Altherr, a largement contribué au developpement de l'analyse d'immeuble, à Appenzell Rhodes-Extérieures. Foto: Erich Brassel, Herisau

L’organisme porteur à la base de la collaboration

Le «Réseau vieille ville» est désormais rattaché à EspaceSuisse. Notre association a conclu des contrats avec des organismes porteurs régionaux ou cantonaux, aussi avec Appenzell Rhodes-Extérieures (voir encadré «L’instrument de l’analyse d’immeuble»). En effet, pour pouvoir utiliser l’instrument «analyse d’immeuble», un organisme porteur doit exister sur place. Les architectes réalisant l’analyse pour le compte de cet organisme sont formés par les experts d’EspaceSuisse, ce qui garantit le respect de la qualité exigée et l’utilisation correcte de cet outil.

Les bons spécialistes, un facteur décisif

Le projet de rénovation de la Dorfstrasse 82 débute avec de vieilles fenêtres mal isolées. Mais le projet d’assainissement énergétique d’Urs Tischhauser évolue rapidement. Une chance si l’on considère le bâtiment aujourd’hui. L’industriel confie l’analyse à l’architecte Beat Müller, à Herisau. Ce spécialiste a déjà encadré de nombreux travaux de ce genre et dispose d’une grande expérience en la matière. Pour lui, il apparaît rapidement que le bâtiment, précieux d’un point de vue culturel et historique, présente de nombreuses qualités, qu’il s’agit de préserver avec un soin particulier ou qui peuvent même être remises en valeur. C’est dans le cas d’assainissements thermiques, en particulier, que Beat Müller perçoit un risque important de voir la façade modifiée et, en conséquence, les qualités architecturales du bâtiment altérées. «Dans les régions rurales, quatre rénovations sur cinq sont réalisées sans les spécialistes adéquats», déplore-t-il. Le résultat? Des «assainissements bricolés», dont les conséquences peuvent être très négatives. Les propriétaires sont souvent dépassés. «Pour une somme modique, l’analyse d’immeuble livre une base complète, adaptée au propriétaire.» Une plus-value importante.

C’est aussi Beat Müller qui a pu éviter, avec le concours du service cantonal du patrimoine, que la façade historique en bardeaux soit remplacée par une enveloppe en Eternit. «Pour le bâtiment, le dommage aurait été immense.»

Avant les transformations, les sanitaires «intégrés» à la cuisine étaient étroits et inconfortables. Le concept de Beat Müller prévoyait de les séparer et de réaliser une cuisine habitable au détriment d’une chambre. Les travaux ont permis de créer trois appartements modernes et spacieux de 2,5 pièces chacun. L’isolation phonique a été améliorée en doublant le revêtement des plafonds. Les nouvelles fenêtres, l’isolation intérieure, l’assainissement du sol du grenier et de la cave diminuent quant à eux les besoins énergétiques. Le bâtiment a été raccordé au réseau de distribution local de chaleur, de sorte qu’il est désormais chauffé sans émissions de CO2. À l’arrière, l’abri généreux aménagé pour les voitures couvre aussi les besoins des locataires en faisant office de terrasse. L’espace extérieur ainsi aménagé s’avère agréable et constitue une plus-value certaine pour les habitants de la maison, l’absence traditionnelle de balcons dans l’architecture appenzelloise étant ainsi habilement compensée.

Caption
Les vieilles fenêtres mal isolées sont à l’origine du projet de rénovation. Photo: bm architekten eth sia
Caption
Dans les fenêtres, l’astuce a consisté à en modifier la division de sorte qu’aujourd’hui, seuls peuvent s’ouvrir les battants supérieurs. Les dispositions actuelles en matière de sécurité, destinées à empêcher les chutes, ont ainsi pu être respectées sans nécessiter des aménagements supplémentaires. Photo: D. Steiner.

Ne pas limiter la réflexion au rendement

Beat Müller et Urs Tischhauser qualifient les parquets en bois de «bijoux». Révélés durant les travaux, ils ont surpris tout le monde. «Même nous qui produisons des textiles et des tapis, nous avons dû reconnaître qu’il était dommage de couvrir à nouveau ces magnifiques sols en bois», avoue le propriétaire en souriant.

Interrogé sur les coûts totaux de la rénovation, il retrouve son sérieux: «Bien entendu, l’aspect de la rentabilité a été pris en compte dans la stratégie. Mais en fin de compte, de tels objets sont une affaire de passion. Si nous avions placé le rendement au centre de notre réflexion, ce bien immobilier n’aurait pas été un bon candidat pour des investissements de cet ordre. Pour préserver le bâtiment, il était absolument correct de procéder ainsi. Il s’intègre bien au site. Conserver le bâtiment nous tenait particulièrement à cœur. Et le résultat est réellement magnifique.» Si c’était à refaire, Urs Tischhauser ne changerait rien, sauf un point: «Une pièce de plus ne serait pas une mauvaise chose. Pour le reste, je recommande vivement une telle analyse d’immeuble.»

L’instrument de l’«analyse d’immeuble»

L’analyse d’immeuble est un instrument d’évaluation des biens immobiliers. Elle est réalisée par des architectes spécialement formés. Elle comprend une brève description du bâtiment et de son état, et contient des recommandations sur les possibilités de modernisation et d’utilisation future du bâtiment. L’analyse d’immeuble donne par ailleurs des indications sur les coûts et la rentabilité attendue. Mais attention: cet instrument n’est pas un projet de construction clé en main et sert uniquement à dresser un état des lieux stratégique.

L’organisme porteur

L’analyse d’immeuble est organisée autour d’organismes porteurs. Il s’agit le plus souvent d’associations régionales, de cantons ou, plus rarement, de villes L’analyse est réalisée par des professionnels établis dans la région, des architectes ancrés à l’échelle locale et qui connaissent le marché sur place. L’analyse d’immeuble n’est pas gratuite et coûte près de 6000 francs. Dans le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures, les propriétaires fonciers, la majorité des communes et le canton participent chacun à hauteur d’un tiers des coûts.

L’instrument de l’«analyse d’immeuble» a été développé par l’équipe d’experts du «Réseau vieille ville», qui est aujourd’hui rattaché à EspaceSuisse. L’organisation conclut des contrats avec les organismes porteurs, forme les architectes et assure le contrôle de la qualité. Ces contrats engagent lesdits organismes à réaliser l’«analyse d’immeuble» d’après les directives d’EspaceSuisse, qui en octroie la licence. À l’heure actuelle, EspaceSuisse a signé des contrats avec les organismes porteurs suivants:

  • canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures
  • ville de Lichtensteig SG
  • canton d’Uri
  • région du Toggenbourg SG
  • ville de Bienne BE
  • canton de Thurgovie
  • ville de Porrentruy JU

La parole à Dölf Biasotto

«Notre recette a été de coupler l’analyse d’immeuble à un programme gouvernemental»
Dölf Biasotto
Caption
Dölf Biasotto est ingénieur civil EPF et ancien entrepreneur en bâtiment. Ces quinze dernières années, il a travaillé comme développeur de projet, a conseillé des maîtres d’ouvrages et a été médiateur économique. Il siège au Conseil d’État d’Appenzell Rhodes-Extérieures depuis 2017 et dirige le Département des constructions et de l’économie publique. Photo: J. Spengler

Appenzell Rhodes-Extérieures est le canton où est réalisé le plus grand nombre d’analyses d’immeubles en Suisse. Comment expliquez-vous ce succès?
Dölf Biasotto: À la suite d’une initiative de l’Office fédéral du logement OFL lancée en 2006, nous avons pu reprendre l’instrument développé par le «Réseau vieille ville», l’adapter à nos besoins et le rendre plus appenzellois. Nous sommes parvenus à axer l’analyse d’immeuble sur les besoins des propriétaires locaux. En 2007 déjà, Fredi Altherr, l’ancien responsable du service du patrimoine cantonal, et Christof Simmler, le responsable des constructions à Herisau, ont pris les devants, de concert avec la fondation «Dorfbild Herisau». La question qui les occupait était la manière de mettre en valeur et de préserver la substance historique des bâtiments. Ils entretenaient des contacts intenses avec le «Réseau vieille ville», qui avait développé l’«Immocheck». Des projets pilotes ont alors été réalisés en commun. C’est de cette collaboration qu’est né l’instrument actuel de l’«analyse d’immeuble».

Quand avez-vous été impliqué et quel était votre rôle?
Mon entreprise d’alors, Biasotto AG, avait décroché le mandat consistant à diriger les volets 2007-2011 et 2012-2015 du projet «Construction et habitat» dans le cadre du programme gouvernemental du même nom. Une partie du projet consistait en l’analyse d’immeuble. J’ai rejoint l’aventure en 2008 et j’ai pu, dans ma fonction de représentant du canton, accompagner la mise en œuvre de cet instrument.

Qu’est-ce qui distingue le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures?
La part de substance ancienne est supérieure à la moyenne. Nos 20 communes abritent des bâtiments nécessitant, pour certains, des rénovations considérables. Ignorer la situation n’est pas une solution. Notre objectif doit être de préserver notre culture du bâti unique en son genre.

Que s’est-il passé après la phase pilote?
L’analyse d’immeuble s’est bien établie dès le départ. Nous n’avons pratiquement pas fait de publicité pour cet outil. Nous avons juste produit un dépliant, qui n’a d’ailleurs presque pas été modifié depuis. Nous avions peur d’être dépassés par la demande puisque les besoins en rénovations sont importants vu la structure ancienne des bâtiments. Grâce à la contribution du programme gouvernemental, le propriétaire ne paie qu’un tiers des coûts. Les deux tiers restants sont à la charge du canton et de la commune. En tant que propriétaire, vous n’obtiendrez pas d’analyse pertinente de votre bâtiment aussi avantageuse ailleurs.

Comment le canton a-t-il réagi à la demande importante?
Nous avons décidé de soutenir exclusivement des objets situés en zone à bâtir et qui présentent des traits «caractéristiques du site ou du village», c’est-à-dire des objets ayant une importance significative pour le lieu où ils se trouvent. Depuis 2010 et sans compter les projets pilotes, nous avons réalisé 128 analyses d’immeubles et 7 autres sont actuellement en cours. C’est un score unique en Suisse.

On dirait presque que cet outil fonctionne tout seul...
Ce n’est pas le cas. Nous nous efforçons de continuer à le développer. Chaque année, nous organisons un échange d’expériences avec les architectes qui l’utilisent. Nous discutons avec eux des possibilités d’amélioration et procédons aux adaptations nécessaires. Naturellement, ces modifications ont toujours lieu en accord avec les auteurs et propriétaires de la licence de l’analyse d’immeuble, avec lesquels nous avons passé un accord.
Nous invitons aussi régulièrement les autorités d’autres villes et régions pour des échanges intercantonaux. À cela s’ajoutent des sondages auprès des propriétaires ayant commandé une analyse. Cela nous permet d’avoir des retours pertinents sur l’instrument en tant que tel, mais aussi sur les différents objets et les rénovations prévues ou réalisées.

Pourquoi le nombre d’analyses est-il plus faible dans d’autres régions?
Notre recette a été de coupler l’analyse d’immeuble à un programme gouvernemental d’aide au logement. L’instrument avait un ancrage politique et ne cessait d’être discuté.

L’analyse d’immeuble ne figure pourtant plus dans le programme actuel du gouvernement...
C’est exact. Après un processus législatif bref et intensif, elle a été intégrée dans la loi cantonale sur les constructions en 2016. Nous disposons aujourd’hui d’un article de loi encourageant et soutenant le développement des sites et les analyses d’immeubles. Chaque année, nous disposons de subventions à hauteur de 50 000 francs.

L’intégration de l’analyse d’immeuble dans la loi s’est-elle heurtée à des résistances?
Non, pas du tout. L’instrument était si bien accepté par la population, les entrepreneurs, les propriétaires et les communes, qui avaient déjà accumulé tant d’expérience en la matière, que l’adaptation a été acceptée quasiment à l’unanimité par le Grand Conseil, à une voix près.

«Nous sommes parvenus à ancrer l'analyse d'immeuble dans le cadre politique.»
Dölf Biasotto

Pourquoi, à votre avis, l’analyse d’immeuble est-elle aussi bien acceptée par les propriétaires?
L’un de ses aspects importants est de montrer les étapes correctes de la rénovation. Seuls des travaux coordonnés – en fonction du budget du propriétaire – permettent d’éviter des erreurs structurelles. Nous observons aussi un «effet d’imitation». Après l’assainissement d’un bâtiment, il n’est pas rare que les propriétaires voisins fassent de même. À Urnäsch, on a observé ces cinq dernières années l’assainissement successif de cinq ou six maisons d’une même rangée de bâtiments, ce qui a fortement revalorisé le site.

Quels sont les autres effets de l’analyse d’immeuble?
Je constate que les valeurs liées à notre culture du bâti sont perçues de manière différente et que les gens y sont plus sensibles. On se met à parler d’identité avec les citoyens, ce qui ne serait jamais arrivé sans cette analyse. En outre, les bénéfices économiques sont énormes. Le facteur de multiplication est immense. Je ne connais pas d’autre subvention produisant un effet aussi important, et de loin. Le sondage de 2016 a montré que depuis 2010, un volume d’investissements de 21 millions de francs avait été généré. Il faudrait aussi tenir compte de l’effet des appartements créés et des recettes fiscales supplémentaires que cela entraîne.

À votre avis, où se situent les limites ou même les dangers de l’analyse d’immeuble?
Certains agents immobiliers sont un problème. L’analyse donne des indications sur la valeur actuelle du bien immobilier, en tenant compte de tous les éléments nécessitant un assainissement. Cette valeur peut être basse ou même négative suivant les travaux à effectuer. Certains propriétaires peuvent être déstabilisés, surtout lorsque la transmission de leur bien à la génération suivante n’est pas encore réglée. Il n’est pas rare que les agents immobiliers tentent de profiter de ces incertitudes, offrant un prix d’achat inférieur. Leur objectif est d’obtenir une rentabilité maximale après un assainissement minimal. Si le bâtiment est revendu, ils font alors valoir le potentiel exposé dans l’analyse d’immeuble, bien que la rénovation proposée dans celle-ci n’ait jamais eu lieu. C’est la raison pour laquelle l’analyse d’immeuble doit rester confidentielle.

Selon vous, quelle est la recette du succès de l’analyse d’immeuble en Appenzell Rhodes-Extérieures?
C’est en premier lieu la structure organisationnelle que nous avons choisie. Nous avons créé une cellule au sein de l’administration, qui s’est rapidement établie comme interlocutrice et bureau de coordination. Il faut aussi mentionner l’ancrage légal, c’est-à-dire la légitimation. Nous sommes en effet parvenus à ancrer l’analyse dans le cadre politique.

Caption
De derrière, on constate que l’abri pour les véhicules et la terrasse sont réunis. Photo: D. Steiner.
Caption
L’espace extérieur ainsi aménagé est attrayant. Photo: D. Steiner.

Ensuite, nous avons réussi à l’adapter aux besoins des clients. Les discussions sur l’évolution stratégique avec les propriétaires sont, à mon avis, décisives. Il s’agit d’identifier leurs projets pour leur bâtiment. Prévoient-ils de le transmettre à leurs enfants? De quels moyens financiers disposent-ils et dans quelle étape de la vie se trouvent-ils? Prévoient-ils de fonder une famille? Tous ces facteurs doivent absolument être pris en compte. L’analyse doit servir à développer un concept intégrant les exigences des propriétaires. Dans le cadre de mon mandat, j’ai pu m’intéresser à ces questions. Je plaide fortement pour une «analyse d’immeuble orientée sur les clients», m’écartant légèrement de l’évaluation purement objective d’un bien immobilier, telle qu’elle était pratiquée à l’origine. J’estime qu’il est nécessaire d’encadrer les propriétaires. Parler simplement d’argent ne suffit pas.

La collaboration avec le service du patrimoine cantonal est également décisive. Dans notre cas, Fredi Altherr en a clairement été le moteur. Les experts doivent collaborer étroitement avec ce service et comprendre la culture locale du bâti.

Interview: David Steiner, géographe.

Inforum 4/2018: «Analyse d'immeuble» à Appenzell Rhodes-Extérieures

Première publication : INFORAUM 4/2018, le périodique du développement territorial suisse (Ed. : EspaceSuisse)

 

Commentaires et suggestions
Nous contacter