Marée basse et qualité haute

Le développement vers l’intérieur se concrétise à Delémont, entre autres, par la construction d’un écoquartier de près de 400 logements aux abords de la Sorne. Celui-ci peut voir le jour car la ville a investi massivement dans un concept global de protection contre les crues. Cette réalisation a permis non seulement de sécuriser le centre-ville mais aussi de donner plus de place à la nature et d’offrir à la population un espace de détente de proximité de qualité. La ville réalise ainsi d’une pierre plusieurs coups.
Alain Beuret, Architecte EPFL, urbaniste FSU, EspaceSuisse

La Suisse et une bonne partie de l’Europe ont subi un été pourri avec d’abondantes précipitations tandis que le sud du continent étouffait sous la chaleur. La fréquence et l’intensité toujours plus fortes de ces événements extrêmes nous fait prendre conscience de l’urgence de nous adapter aux changements climatiques en cours.

Certaines communes ont déjà pris des mesures qui commencent à porter leurs fruits. À Delémont, malgré les pluies diluviennes du mois de juillet dernier, la Sorne, la rivière qui façonne la vallée et traverse la ville, est restée sagement dans son lit. Un de ces affluents a pourtant provoqué des inondations importantes dans le village voisin de Develier. Comment est-ce possible? La Sorne a été renaturée dans le cadre d’un projet global de protection contre les crues, bien nommé «Delémont marée basse». Son lit a doublé de largeur par endroit et lui offre donc largement plus de place.

A quelques encablures de la gare, dans le nouveau parc urbain à côté de la Sorne, Hubert Jaquier, l’urbaniste communal, est assis sur le bord de la plate-forme qui surplombe une petite plaine herbeuse, il explique qu’en cas de crue majeure l’eau de la Sorne peut envahir le pré sous nos pieds. C’est la raison pour laquelle le bureau qui a planifié ce nouvel espace public a placé de petites échelles de natation entre le pré et la plate-forme. C’est un clin d’œil à l’attention de la population pour qu’elle n’oublie pas que les crues peuvent être importantes comme en 2007.

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Le parc urbain offre un espace vert de qualité sur les rives de la Sorne au cœur de la ville.
Photo: A.Beuret, EspaceSuisse

La crue historique de 2007

Hubert Jaquier explique qu’en mai 2007, Delémont était la première commune du canton à «recevoir» sa carte des dangers de crues. Cette dernière faisait apparaître que le quartier de la gare était menacé par de potentielles crues de la Sorne. L’ingénieur communal de l’époque élaborait alors des plans pour augmenter le débit du cours d’eau. En parallèle, Hubert Jaquier travaillait, de son côté, à l’organisation du concours d’architecture Europan ouvert aux jeunes architectes européens, pour «urbaniser» le lieu où se trouve le parc urbain et qui était alors une surface agricole résiduelle, enclavée dans le tissu bâti.

En cas de crue majeure l’eau de la Sorne peut envahir le pré sous nos pieds.
Hubert Jaquier, urbaniste communal Delémont

Début août, la Sorne allait remettre en question les projets des deux hommes: elle débordait largement et inondait massivement le quartier de la gare. Durant une journée, Delémont était coupée du reste de la Suisse: les routes cantonales et les lignes de train en direction de Bâle et de Bienne sont largement sous l’eau. Seule l’autoroute et le train en direction de Porrentruy et de la France restaient opérationnels.

L'écoquatier est en chantier derrière la passerelle. Photo: A. Beuret, EspaceSuisse

Une crue rassembleuse!

Le point positif de cet événement, qui fit plus de 30 millions de francs de dégâts, heureusement seulement matériels, est la volonté affirmée dès le lendemain, de s’attaquer au fond du problème et de travailler autrement. Ensemble, les deux hommes organisent, avec le soutien de la Municipalité, plusieurs séances participatives avec la population pour lancer une nouvelle démarche visant à protéger la ville contre les crues, tout en améliorant la biodiversité et en intégrant la dimension sociale. Le nom de ce projet de territoire est choisi lors de ces soirées, ce sera «Delémont marée basse», un slogan rassembleur et évocateur. Dès le début, l’idée d’intégrer au projet un parc urbain, à disposition de la population, est retenue. Le périmètre du projet du nouveau quartier est réduit et l’idée d’améliorer le fond du lit de la rivière pour augmenter son débit est abandonnée: la rivière sera élargie avec un parc urbain sur ses rives qui profitera à la ville, tout cela dans un projet d’ensemble.

Dès le début, l’idée d’intégrer au projet un parc urbain, à disposition de la population, est retenue.

Le périmètre du projet du nouveau quartier est réduit et l’idée d’améliorer le fond du lit de la rivière pour augmenter son débit est abandonnée: la rivière sera élargie avec un parc urbain sur ses rives qui profitera à la ville, tout cela dans un projet d’ensemble.

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Le plan directeur localisé Sorne précise les étapes du réaménagement de la rivière et de ses abords entre 2010 et 2025. Source: ville de Delémont. Source: ville de Delémont

Une stratégie globale …

Comme la petite ville de Delémont (12'500 habitants) n’est pas très riche, on décidera assez rapidement de réaliser le projet par secteurs, tout en disposant d’un plan directeur localisé qui définit la vision globale avec la stratégie, les objectifs à atteindre, le cadre financier, le calendrier et les différentes étapes de réalisation. La population delémontaine accepte en 2009, à 83 pourcent, un crédit-cadre de 15 millions de francs, dont 5,5 à charge de la ville, en vue de sa réalisation par étapes successives sur plusieurs années jusqu’en 2025.

Comment obtient-on un tel score en votation? «Les inondations étaient encore très présentes dans l’esprit des gens et il y avait la volonté politique de battre le fer pendant qu’il était encore chaud. Et ça a fonctionné!» résume Hubert Jaquier.

… qui paie!

Avec un budget de quinze millions de francs et un horizon de réalisation de dix à quinze ans, la tâche est herculéenne pour la petite ville. Comment mener à bien de tels travaux sans épuiser le personnel communal ni augmenter la quotité d’impôts? Pour s’assurer du bon déroulement du projet, la commune a mandaté l’ingénieur en génie de l’environnement Denis Moritz qui avait dirigé la cellule des dangers naturels au sein de l’Office cantonal de l’environnement et supervisé l’élaboration de la carte des dangers crues. Il était prédestiné à la coordination des travaux en tant que bureau d’assistance au maître d’ouvrage (BAMO). «Le fait d’avoir engagé un expert externe a permis à la commune d’optimiser le projet à tous les niveaux», affirme l’urbaniste. Grâce à ce travail, la ville a pu obtenir le taux de subventionnement maximal au niveau cantonal et fédéral. Le coût de ce mandat a donc été largement compensé par les subventions supplémentaires que la ville a pu obtenir (voir encadré «Financement du projet»).

Financement du projet

Pour la part des coûts restant à charge de la ville, celle-ci a pu compter sur le fonds communal des digues, destiné à financer les infrastructures de protection contre les crues. Plusieurs communes jurassiennes ont abandonné cette pratique dans les années 1960 à 1980, en pensant qu’il ne serait plus nécessaire de construire de nouvelles digues de protection. On estimait alors que les eaux avaient été ingénieusement canalisées… Delémont a été plus prudente et a conservé ce fonds, auquel tous les propriétaires fonciers contribuent annuellement à hauteur de 0,24 pour mille de la valeur officielle de leur bien. «Il faut voir cet instrument comme un investissement sur plusieurs générations» explique Hubert Jaquier.

Le caractère modèle et pionnier de la réalisation, permettant de sécuriser un grand nombre de propriétés rapidement a séduit l’assurance La Mobilière qui a décidé de soutenir financièrement les travaux de la première étape à titre pilote. Au vu des résultats très positifs, elle a réitéré son soutien pour la deuxième et la troisième étape. Le montant total versé par l’assureur privé dans cette réalisation s’élève au total à plus de 750'000 francs.

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Les nouveaux cheminements pour la mobilité douce connectent les quartiers d'habitation au centre-ville en passant par les écoles.
Photo: A. Beuret, EspaceSuisse
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Les pensionnaires du nouvel EMS de la Sorne peuvent profiter de la rivière renaturée au quotidien, sans craindre les inondations.
Photo: A. Beuret, EspaceSuisse
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L'espace situé entre le sentier sur les rives et la plate-forme peut être inondé lors de crues exceptionnelles. La place de jeu est installée entre les deux.
Photo: A. Beuret, EspaceSuisse
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Le lit de la Sorne a presque triplé par endroit, ce qui a nécessité la construction de nouvelles passerelles plus longues. Photo: A. Beuret, EspaceSuisse

Un processus participatif et interdisciplinaire

La ville a souhaité dès le début associer largement la population et les associations de protection de l’environnement au processus, en plus des partenaires pour le financement (Confédération, canton, commune et la Mobilière). Après plusieurs soirées participatives, elle a constitué un groupe de suivi avec des représentantes et des représentants de la population et des milieux intéressés. Ce groupe de suivi existe encore aujourd’hui et continue de donner son avis sur l’ensemble des décisions en lien avec la réalisation de «Delémont marée basse».

Le projet est en outre interdisciplinaire au sein des services de la Municipalité, notamment entre l’urbaniste et l’ingénieur communaux. Lorsque l’ingénieur est parti à la retraite, l’exécutif communal en a profité pour fusionner les deux services en une seule nouvelle entité administrative: le service de l’urbanisme, de l’environnement et des travaux publics (UETP) dirigé par l’urbaniste communal Hubert Jaquier, ce qui a permis de gagner encore des synergies entre le développement de l’urbanisation vers l’intérieur, l’environnement et les travaux publics.

Ces synergies ont notamment permis de trouver des solutions efficaces et pragmatiques, en matière de finances publiques et de maîtrise foncière notamment. Ainsi, plutôt que d’acquérir près de 14'000 mètres carrés de terrain à bâtir à 600 francs , soit une dépense de plus de huit millions de francs, pour élargir et renaturer la Sorne dans le secteur du parc urbain, la ville a négocié avec le propriétaire foncier la cession gratuite de cette surface. En échange celui-ci a obtenu la possibilité de construire davantage sur le solde de sa parcelle. Une tour ronde de dix étages et 48 appartements en PPE a ainsi pu voir le jour en bordure du parc urbain.

La ville a négocié avec le propriétaire foncier la cession gratuite de cette surface.
Hubert Jaquier, urbaniste communal Delémont

Un écoquartier en prime

Un écoquartier a également été développé derrière la tour en question. L’ensemble est indirectement issu du concours d’architecture de 2007. Le projet initial a été retravaillé suite à l’adoption du plan directeur localisé. Le conseil de ville a ensuite adopté le plan spécial en 2013.

L’écoquartier, actuellement en construction, verra sortir de terre prochainement neuf immeubles d’habitation totalisant près de 340 appartements, sans trafic motorisé, le stationnement étant regroupé en souterrain. Les nouveaux bâtiments répondront au standard Minergie-P. Ce futur quartier est d’ores et déjà reconnu par la Confédération comme un modèle de développement durable et a, pour ses qualités, reçu le label «site 2000 Watt». L’investisseur et promoteur du projet est un architecte genevois qui a reconnu un potentiel important dans ce secteur. Les premiers habitants pourront emménager dans ce nouveau quartier vert au bord de la Sorne à l’automne prochain.

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Pour élargir la rivière, la commune a négocié la cession d'un terrain privé en échange de la possibilité de construire plus haut. Photo: A. Beuret, EspaceSuisse
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Les berges de la Sorne ont été renaturées et offrent un accès à l'eau pour les habitantes et les habitants. Photo: A. Beuret, EspaceSuisse

Une plus-value concrète pour la population

En 2018, lors de l’inauguration du parc urbain, la vice-directrice de l’Office fédéral de l’environnement, Franziska Schwarz, a loué dans son discours un cas d’école au niveau suisse. Cette étape importante marque la mi-parcours de la réalisation complète. Après la réalisation d’une petite plage vers la camping à l’ouest de la ville il y a une dizaine d’années, l’ouverture au public de ce nouveau parc en plein cœur de la ville permet à la population de bénéficier d’un deuxième accès à la rivière et d’un vaste espace de détente de proximité, aménagé en partie en place de jeu et pouvant accueillir aussi des manifestations.

Le nouveau parc est relié à la gare, au centre-ville et aux quartiers d’habitation voisins par de nouveaux cheminements mobilité douce au bord de la rivière et par trois passerelles préexistantes qui ont dû être remplacées suite à l’augmentation de la largeur du lit du cours d’eau.

Et ce n’est pas fini

Après une décennie des travaux, l’aventure «Delémont marée basse» est déjà bien avancée mais pas encore terminée. La prochaine étape sera la transformation du tronçon central en pierre, canalisé par les chômeurs de la ville en 1930 le long du quai de la Sorne, à côté de la gare. Le groupe de suivi est en train de plancher sur différentes propositions pour rendre ce «monument» plus agréable pour la faune et la flore et donner là aussi un accès à l’eau à la population.

À côté de cela, la ville a lancé l’année dernière l’élaboration de son plan climat. Elle souhaiterait que les mesures proposées puissent être directement intégrées dans le règlement communal sur les constructions. Il s’agirait là d’une première en Suisse. Une large consultation par voie électronique a eu lieu ce printemps et les services communaux sont en train d’en dresser la synthèse. A n’en pas douter, la participation citoyenne, dans l’ensemble des démarches qu’elle entreprend, est la clé du succès pour la ville de Delémont.

La parole à Renate Amstutz

«Ville et nature vont de pair.»
Renate Amstutz , Directrice de l’Union des villes suisses de 2008 à fin septembre 2021
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Directrice de l’Union des villes suisses de 2008 à fin septembre 2021, Renate Amstutz s’est fortement impliquée en faveur d’une densification urbaine de qualité. Photo: màd

Renate Amstutz, qu’est-ce qui vous impressionne le plus dans le projet «Delémont marée basse»?

Ce projet est résolument orienté vers l’avenir et exemplaire par son approche globale. Delémont a compris que la protection contre les crues ne pouvait pas se faire isolément et qu’elle offrait aussi des opportunités. L’enjeu porte sur la sécurité, mais on y a aussi intégré des mesures environnementales. Les changements sociaux, spatiaux et économiques ont été pris en compte et facilités. Les nouvelles structures permettent de valoriser la ville et de forger son identité. L’espace de détente nouvellement créé fait entrer la nature dans la ville. Ville et nature vont de pair. À Delémont, la nature et la biodiversité, les transports, les espaces non bâtis, le développement urbain et le vivre-ensemble ont été pensés ensemble. Il ne s’agit pas d’une simple mesure corrective, mais d’un projet de développement.

Le projet delémontain a été décidé il y a plus de dix ans, à la suite d’une grande inondation. D’autres villes connaissent aussi des problèmes de crues. Pourquoi y a-t-il si peu de projets de ce type dans les zones urbaines?

Ils ne sont pas si rares que ça. Cela fait un moment que les choses évoluent. Les approches cloisonnées qui prévalaient par le passé sont de plus en plus remplacées par des projets qui intègrent pleinement une vaste palette de thèmes. C’est aussi un point central. Car des événements comme on en voyait avant une fois par siècle se produisent maintenant tous les deux ou trois ans. Les projets globaux sont donc appelés à gagner en importance.

On n’est jamais «trop petit».
Renate Amstutz , Directrice de l’Union des villes suisses de 2008 à fin septembre 2021

Mais cela prend du temps!

Oui, cela prend énormément de temps. Les procédures sont souvent longues et peuvent mobiliser plusieurs instances. De plus, une nouvelle manière de penser est nécessaire dans l’organisation des projets. Il faut prendre en compte des domaines auxquels on ne pensait même pas auparavant et prévoir dès le début la participation de larges cercles d’acteurs, ce qui au final peut d’ailleurs s’avérer un gain de temps. À Delémont, un point important a aussi été l’implication des organisations de protection de la nature. Une position a priori inconfortable peut représenter une chance d’aboutir à de meilleures solutions. Pour mettre sur pied des projets selon une approche globale, nous devons aussi davantage intervenir dans la formation des spécialistes, par exemple des aménagistes ou des architectes.

Ces derniers mois, plusieurs grandes villes ont présenté leur plan climat. On a l’impression que chacune procède de manière isolée, sans coordination.

Chaque ville doit établir ses propres priorités. Il s’agit, en fin de compte, de décisions politiques. Mais des échanges ont bel et bien lieu, au niveau régional, national et international, et entre les différents échelons étatiques. Prenez la Charte pour le climat et l’énergie, déjà signée par un nombre réjouissant de villes et de communes. Avec ses groupes de travail et ses commissions, l’Union des villes suisses offre également des plates-formes d’échange idéales. Cela permet aux villes et aux communes d’apprendre les unes des autres.

Ce sont surtout les grandes villes qui ont les moyens de se doter d’une propre stratégie climatique. Que peuvent faire les villes plus modestes qui manquent de ressources financières?

Une stratégie climatique globale est gage de sécurité dans la planification, mais on peut aussi intervenir dans un domaine restreint qui s’avère important pour une ville ou une commune donnée. Il existe de nombreuses mesures spécifiques de qualité que les petites villes et communes peuvent réaliser. Morges, par exemple, est active dans le domaine de l’hydrothermie, Schaffhouse a été la première Cité de l’énergie de Suisse, Montreux mise sur les vélos électriques. Il n’y a pas que chez les grands que les choses bougent. On n’est jamais «trop petit».

Comme Delémont, Schaffhouse est une cité de l'énergie Gold. Elle fut la première ville à être labellisée en 1991 déjà. Source: European Energy Award

Comment financer des mesures de protection du climat quand une commune ne dispose que de ressources limitées?

La question financière se pose partout, car les ressources sont limitées partout. Mais à long terme, les conséquences du changement climatique coûtent plus cher que les mesures de protection et d’adaptation. Les investissements dans le chauffage à distance, par exemple, représentent des sommes très élevées; cela n’empêche pas les villes et leurs services industriels de s’engager dans cette voie judicieuse à long terme. Les aides cantonales sont importantes, par exemple pour les projets photovoltaïques. Certes, la population a rejeté la loi sur le CO2, mais il nous faudra quand même adopter rapidement de nouvelles mesures. Il existe une foule de domaines où la Confédération ferait bien de donner des impulsions. Pourquoi ne pas subventionner temporairement les bornes de recharge des véhicules électriques? Mais – et je tiens à le souligner – tout ne se résume pas à une question de finances. Une approche globale ne coûte pas forcément cher. Les processus participatifs, par exemple, peuvent aboutir à des idées peu onéreuses.

Considérez-vous la taxe sur la plus-value découlant d’un classement en zone à bâtir ou d’un changement d’affectation comme une source possible de financement pour les projets climatiques?

On peut certainement en discuter. Cela dit, la taxe sur la plus-value suscite beaucoup de convoitises. Ces moyens financiers sont avant tout générés dans les zones à forte densité, et c’est là aussi qu’ils devraient principalement être utilisés, dans l’intérêt d’une bonne qualité de vie.

Quel rôle l’aménagement du territoire peut-il jouer dans l’adaptation au changement climatique? Il est à peine mentionné dans la Charte pour le climat et l’énergie. A-t-il été oublié?

Même s’il n’est pas explicitement mentionné, il se reflète dans de nombreuses mesures qui y sont énumérées. Pour moi, l’aménagement du territoire est central et revêt une fonction de première importance. Où faut-il créer quelle zone? Quelles utilisations sont possibles à quel endroit et à quelles conditions? La perspective globale de l’aménagement du territoire est essentielle. Si l’aménagement du territoire ne met pas en place les conditions adéquates, celles-ci feront aussi défaut pour les mesures de protection du climat et d’adaptation au changement climatique.

À Sion, l'Espace des Remparts a été végétalisé dans le cadre de la démarche AcclimataSion. Source: Mobilité piétonne Suisse

Les espaces publics constituent un levier important de cette adaptation. Comment motiver davantage les propriétaires à prendre eux aussi des mesures qui concernent leurs espaces verts privés?

Le travail de sensibilisation est, à mon sens, très important, même s’il est exigeant. De bons exemples pourraient certainement motiver les particuliers. Je constate que même dans les jardins privés, les questions de biodiversité et de désimperméabilisation du sol sont de plus en plus souvent évoquées. L’eau et les espaces verts sont importants pour un environnement propice à l’être humain et à la nature, qui procure du plaisir et dispense ombre et fraîcheur. Les investisseurs sont eux aussi de plus en plus conscients que des espaces extérieurs attrayants sont essentiels à la qualité d’un lotissement où il fait bon séjourner. L’influence des aménagistes et des conseillers sur les propriétaires privés n’est pas négligeable non plus. Il n’est pas nécessaire d’agiter des aides financières tous azimuts, on touche aussi les particuliers en primant de bons exemples ou en recueillant de bonnes pratiques.

D’un côté, les villes doivent densifier pour faire face à la croissance démographique. De l’autre, elles doivent créer davantage d’espaces verts pour répondre au changement climatique. Comment concilier les deux?

Les conflits d’utilisation dans les villes et les communes à forte densité sont un fait. Mais on vient de voir durant la pandémie à quel point une bonne qualité de séjour est importante dès le pas de la porte. Nous avons besoin de ces espaces non bâtis. Cela n’implique pas d’immenses surfaces. Avant, il était normal de bétonner le pourtour des arbres le long des rues de quartier. Aujourd’hui, des plantes y fleurissent. À elle seule, cette verdure confère à la rue un tout autre caractère. Sur les ronds-points, une place croissante est laissée à la biodiversité. Et beaucoup de gens font pousser des plantes qui profitent aux insectes dans leur jardin ou sur leur balcon. Les villes et les communes mettent des surfaces plantées à disposition, les jardins communautaires suscitent un intérêt toujours plus vif. Ces efforts portent leurs fruits. Dans les nouveaux quartiers, on peut penser les espaces verts et les plans d’eau de façon totalement différente. Dans les villes déjà très denses, on peut obtenir beaucoup même à petite échelle. L’espace urbain invite ainsi à la découverte et permet de se sentir chez soi.

Que conseillez-vous aux villes et aux communes pour mieux faire face au changement climatique?

En un mot: agir! Il faut s’y mettre et persévérer, quitte à essayer des choses peu conventionnelles. Les villes et les communes devraient intervenir là où elles disposent d’une marge de manœuvre, accumuler et échanger des expériences et les multiplier. C’est ainsi qu’elles construisent l’avenir.

 

Interview: Alain Beuret

Une gare verte en prime

La nature et la biodiversité entrent en gare. En partenariat avec l’Eawag (institut fédéral des sciences et technologies de l’eau), Energie du Jura, Pro Natura, la ville et le canton, CFF Immobilier va investir deux millions de francs pour métamorphoser la gare de Delémont et en faire la première «gare verte» de Suisse.

Le projet prévoit notamment l’installation de panneaux photovoltaïque, la végétalisation d’une partie des quais, la plantation d’arbres, la valorisation écologique et l’installation de fontaines d’eau potable. L’expérience a débuté cet automne et se terminera à fin 2023.

Bon à savoir

Le congrès annuel d’EspaceSuisse, sur le thème «Protection du climat et aménagement du territoire», a eu lieu en ligne le 24 juin 2021. Les discussions et les exposés des 14 intervenant-es peuvent être visionnés sur le site Internet d’EspaceSuisse.

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