Densifier en hauteur
Sur la parcelle de 16'000 m2, le plan d’affectation communal permettait une densité de 1.1, soit la construction d’environ 17'600 m2 de surface brute de plancher. Pour le nouveau propriétaire, SwissLife, l’option la plus simple aurait été de faire table rase de la maison de maître et de son jardin pour construire un nouveau quartier de logements atteignant cette surface totale sur l’ensemble de la parcelle. Pour y parvenir, il suffisait de déposer un permis de construire.
L’architecte mandaté, Remo Leuzinger, a étudié plusieurs variantes et une autre idée intéressante a émergé: utiliser la possibilité offerte par le règlement communal de construire plus haut, à condition d’établir un plan de quartier. Cette voie plus longue de la planification permettait de déroger à la hauteur maximale autorisée fixée à 13 m.
Un parc offert à la commune
Le propriétaire et l’architecte ont convaincu la commune et le canton qui ont accepté le principe de construire plus haut à condition que la moitié de la parcelle devienne un parc ouvert au public. Pourquoi ce «deal»? Le propriétaire gagne des appartements de prestige avec vue dégagée sur le lac, du fait de la hauteur plus importante. La commune obtient quant à elle un nouvel espace vert public qui contribue au bien commun, à créer de nouveaux cheminements et à s’adapter au changement climatique.
Cette vision partagée est parfaitement cohérente. En effet, Massagno est une commune très dense, pratiquement sans espace vert, traversée quotidiennement par un flux important de voitures et poids lourds, car située juste à côté de la sortie d’autoroute de Lugano-Nord. Lugano détient le record suisse du taux de motorisation parmi les villes de plus de 50'000 habitants avec 617 voitures pour 1000 habitants (472 en moyenne dans les villes suisses). Pas facile donc de se promener dans Massagno, sans être constamment agressé par le trafic routier.
En chemin vers la gare
Pour encourager les habitantes et habitants à marcher, il est donc nécessaire d’investir dans des parcours alternatifs de qualité. Le nouveau parc y contribue: il permet un cheminement agréable et efficace, à l’abri du trafic routier, entre le quartier populaire situé au nord (rue du Général-Guisan) et le carrefour des «cinq rues» au sud où se situent commerces, restaurants et arrêt de bus. Il constitue aussi une respiration bienvenue sur un long parcours transversal inter-quartiers qui relie deux espaces de détente majeurs de l’agglomération: le lac de Muzzano et le parc des trois pins à Savosa.
Mais la commune n’entend pas s’arrêter là: elle prévoit la réalisation d’un parc linéaire, de 600 m de long (sur 30 à 40 m de large), reliant directement le centre de Massagno à la gare de Lugano par-dessus la tranchée ferroviaire existante. Ce nouveau parc fait partie du projet d’agglomération et l’objet d’une planification intercommunale avec sa grande voisine qui entend en profiter pour développer aussi des nouvelles constructions aux abords de la gare avec le nouveau campus de la SUPSI.
Nouveaux logements
Les nouveaux bâtiments offrent au total 167 logements en location de 2 à 6 pièces avec des typologies intéressantes: tous les appartements sont traversants ou situés dans un plus de la façade, ce qui leur permet à tous les habitants de bénéficier de plusieurs orientations. Les toitures intermédiaires sont végétalisées tandis que la toiture abrite une installation photovoltaïque. L’ensemble répond au standard Minergie-P Eco. Massagno détient au passage le label «cité de l’énergie».
Le projet de plan de quartier et de permis de construire ont été présentés à la population du quartier lors d’une séance d’information publique où chacun a pu poser des questions et émettre des remarques. Le projet n’a ensuite suscité qu’une seule opposition lors du dépôt public, en lien avec des questions de mobilité, qui ont pu être résolues rapidement.
Racines en pleine terre
Grâce à l’augmentation de la hauteur, les bâtiments n’occupent qu’un quart du terrain et le parking souterrain environ un tiers. Plus de la moitié du sol de la parcelle est en pleine terre ce qui permet aux racines des arbres de s’y épanouir, d’où le nom du parc «radice», la racine en italien. Presque tous les arbres centenaires, présents dans le jardin de l’ancienne maison, ont été sauvés grâce à la planification du parc.
Le parc fait aussi la part belle à la biodiversité avec des prairies fleuries sauvages, un nouveau verger et un espace naturel de régénération au sud des immeubles, sans accès, qui permet d’atténuer le bruit du trafic routier de la rue Lepori. Les eaux de pluies sont récupérées pour l’arrosage. L’architecte-paysagiste Sophie Ambroise de l’Officina del Paesaggio a privilégié les matériaux locaux qui nécessitent peu d’entretien et a rédigé un cahier des charges à l’attention de la gérance des immeubles pour que l’entretien des espaces verts soit extensif et compatible avec la biodiversité, ce qui permet au passage de réaliser des économies.
Plantations adaptées au climat
Les nouvelles plantations sont pensées par étapes pour s’adapter au changement climatique: de petits arbres avec des fruits comestibles poussent rapidement à proximité des cheminements tandis que d’autres plantations, adaptées au climat méditerranéen qui s’installe progressivement au Tessin, s’élèveront plus lentement et feront le bonheur des générations futures.
Havres de paix dans la nature
Dans ce parc plutôt sauvage, l’architecte-paysagiste a également voulu offrir des lieux plus domestiques avec trois grands «nidi» en bois végétalisés (des nids en italien), offrant des respirations de calme et invitant à la méditation au cœur du nouveau quartier. Le parc radice a également une dimension sociale avec une aire de jeu et onze jardins potagers au nord. Ces équipements sont dédiés à tous les habitants de Massagno et non seulement aux habitants des nouveaux immeubles.
Concilier les contraires avec brio
L’ensemble est exemplaire à plus d’un titre. Il fait la démonstration que l’on peut concilier, avec qualité, des dimensions souvent vues comme antagonistes: créer de nouveaux logements en promouvant la nature et la biodiversité au pied des immeubles, réaliser des logements de standing en ouvrant la parcelle privée à la population, construire un quartier compact en créant de nouveaux cheminements, offrir des espaces de qualité pour méditer, jouer, jardiner et se rencontrer juste à côté de bretelles d’autoroute.
Rien de cela ne serait possible sans un maître d’ouvrage ouvert à la discussion et un dialogue constant entre l’architecte et l’architecte-paysagiste dès le début du projet jusqu’à l’inauguration. Le défi pour l’avenir sera d’assurer un entretien équilibré de cet espace vert public sur fonds privé sur le long terme.