Reclassement avec concentration des droits à bâtir

Les régions touristiques sont partagées entre la volonté de préserver leur paysage et la tentation d’ordre économique de permettre une croissance de l’urbanisation. Dans les années 1960, Sils, commune de Haute-Engadine, misait sur cette deuxième approche. À cette époque, rien ne s’opposait sur le plan juridique à ce que l’on construise sur l’ensemble de la plaine entre les lacs de Sils et de Silvaplana. Fort heureusement, un processus participatif porté par la collectivité locale est venu corriger le tir.
Paul Knüsel, Dipl. sc. nat. EPF/CAS Aménagement du territoire, journaliste scientifique indépendant RP

Lorsque les températures deviennent étouffantes en plaine, l’Engadine offre un cadre rêvé pour venir goûter à la fraîcheur estivale alpine. Les grandes vacances ont d’ailleurs à peine débuté que des voyageurs du monde entier montent sur les hauts plateaux idylliques des Grisons. Des cars postaux bien remplis attendent les touristes en retard à la gare de St. Moritz. Sur les sentiers pédestres et autres routes, de nombreux piétons et cyclistes croisent leurs chemins. C’est seulement arrivés à Sils Maria que l’on échappe enfin à l’agitation du quotidien pour s’immerger dans la vie de ce village tranquille, sis dans un environnement de carte postale. Un peu en-dehors, dans la vaste plaine entre les lacs de Sils et de Silvaplana, les agriculteurs font les foins sur les prairies. Et non loin de là, des civilistes restaurent un mur de pierres sèches bordant l’ancienne route qui mène dans la vallée de Fex, un élément traditionnel du paysage de la région. L’autorité communale de Sils a, cette fois, demandé l’aide de la Fondation Actions Environnement. Elle veille sinon elle-même, dans une large mesure, à protéger et entretenir ce paysage cultivé unique en son genre.

Certains vont même jusqu’à dire que si Sils n’était pas Sils, la plaine de près de deux kilomètres carrés au pied du Piz Corvatsch aurait été entièrement construite. «En tant que lieu à vocation touristique, nous sommes tributaires de paysages intacts, notre bien le plus précieux», confirme Christian Meuli, président de la commune de Sils. Il n’ignore cependant pas que ce point de vue n’allait pas de soi. En effet, il s’en est fallu de peu pour qu’un mitage massif sur le fond de la vallée, à 1803 mètres d’altitude, vienne dénaturer le paysage composé de prairies fleuries, de terres agricoles et d’une vue imprenable sur les lacs et les montagnes.

Station de départ du téléphérique de Sils-Furtschellas qui, en hiver, dessert le domaine skiable de Corvatsch. En accord avec la commune et les organisations de protection de l’environnement, il est prévu d’y ériger un hôtel. Photo: P. Knüsel

Première action de l’Écu d’or

La plaine entre les lacs de Sils et de Silvaplana, qui a marqué l’histoire mouvementée de l’aménagement du territoire et de la protection du paysage en Suisse, fait parler d’elle depuis longtemps déjà. Cela a commencé dans les années d’après-guerre, quand l’État ne réglementait pas encore le développement territorial. En 1946, la protection du patrimoine et d’autres organisations nationales de protection des espaces naturels jouent un rôle actif en lançant, à l’échelle du pays, la première action de l’Écu d’or afin de sauver le lac de Sils menacé par un projet de centrale hydroélectrique.

Les fonds réunis permettent de dédommager la commune engadinoise. Les autorités locales se promettent toutefois un avenir plus lucratif pour l’arrière-pays. Dans les années 1960, en effet, Sils forme le projet fou de donner le feu vert à la construction de domiciles de vacances sur l’ensemble de la plaine de près de deux kilomètres carrés. Monsieur Meuli n’en connait pas les raisons car elles n’ont été consignées nulle part. Construite autrefois, la station d’épuration des eaux usées dont la capacité est conçue pour plusieurs milliers de ménages est là pour témoigner qu’il ne s’agit pas d’une simple légende.

Il ressort du plan d’aménagement local datant de 1962 que la commune comptait sur l’établissement de 15’000 personnes autour des hameaux historiques de Maria et Baselgia. Par bonheur, les zones du centre ont été épargnées jusqu’à aujourd’hui. Si pendant les vacances d’été et d’hiver la population triple, la population résidente permanente se monte actuellement à 710 personnes.

Aucune autre commune de la Haute-Engadine n’est si fortement marquée par le tourisme que Sils. Selon le président de la commune, c’est avant tout l’hôtellerie qui possède un fort ancrage local générant deux tiers des emplois; à St. Moritz, cette part est deux fois moins élevée. Les 18 hôtels de trois à cinq étoiles de la station thermale comptent annuellement 400’000 nuitées. La part des résidences secondaires n’atteint pas tout à fait 70 %. À l’entrée nord se trouve un lotissement de vacances plus récent: une douzaine de grandes résidences qui forment, depuis les années 1980, le hameau de Seglia. Les dernières constructions – un immeuble locatif à l’est de Maria est justement sur le point d’être achevé – sont en revanche plutôt réservées aux résidences principales. Bien que des conglomérats de maisons d’habitation ou de vacances anciennes ou récentes et de plus ou moins grande taille se soient greffés entretemps aux cœurs historiques, on reconnaît toujours les ceintures vertes entre les hameaux, une caractéristique essentielle de la forme d’urbanisation de la région.

Rien ne devrait changer dans un avenir proche, déclare Christian Meuli. Depuis quelques années, la population est en baisse de sorte qu’il n’est nul besoin de terrains à bâtir supplémentaires. Les habitants de la commune privilégient aussi le statu quo: voici quelques semaines, ils se sont prononcés, lors d’une votation, en faveur d’une interdiction de construire de nouveaux appartements de vacances. Sils dispose aujourd’hui de l’une des lois sur les résidences secondaires les plus restrictives de Suisse.

Vue panoramique vers l’est jusqu’au lac de Silvaplana, à droite la plaine «Cuncas»: ce secteur a été placé sous rotection lors du dernier exercice de concentration du milieu bâti il y a environ 10 ans. Photo: P. Knüsel

Reclassement d’une surface de près de 2 km2

Si Sils est célèbre pour ses hôtels prestigieux et ses hôtes de renom, la commune grisonne suscite également l’admiration dans le milieu de l’aménagement du territoire. Lorsque des parlementaires souhaitent s’informer sur des dossiers locaux en relation avec la protection du paysage, ils invitent à Berne le président de la commune de Sils ou quand la Télévision Suisse est en quête d’informations pratiques et de beaux clichés pour illustrer un modèle de protection du paysage, elle part en Haute-Engadine. Enfin, quand la recherche territoriale étudie les moyens pour lutter contre le mitage, Sils constitue un exemple de cas bienvenu.

En effet, aucune autre commune en Suisse n’a effectué un remaniement aussi vaste en lien avec un redimensionnement que la petite commune engadinoise. Au cours des cinq dernières décennies, le plan d’aménagement local a fait l’objet de pas moins de trois révisions, ce qui a eu pour conséquence, à chaque étape, de réduire considérablement les terrains à bâtir. On a misé au début sur une indemnisation des propriétaires fonciers, puis l’on a privilégié l’instrument de la concentration des droits à bâtir. «En procédant ainsi, nous avons pu regrouper nos énormes réserves en parcelles à bâtir circonscrites», confirme Christian Meuli, qui connaît très bien l’histoire récente de la planification.

C’est en 1970, lors de la visite de deux conseillers fédéraux, qu’est donnée l’impulsion de redimensionner. Est alors lancé le programme d’action «Freihaltung Silserebene» (préservation de la plaine de Sils) auquel participent, en plus de la Confédération et la commune, aussi le canton des Grisons et des organisations nationales et régionales de protection de la nature et du paysage. Les efforts communs visant à une nouvelle délimitation de l’espace bâti et non bâti dans la plaine de Sils portent rapidement leurs fruits. La première étape est le reclassement d’un terrain de près de 40 hectares au nord-ouest. Des contrats de servitude sont signés avec les 18 propriétaires impliqués. Dans un premier temps, les mesures d’aménagement du territoire suscitent un certain mécontentement. Le propriétaire d’un hôtel va jusqu’au Tribunal fédéral, sans obtenir gain de cause (ATF 104 Ia 120), et les autres acteurs concernés réclament, en vain, une indemnité trois fois plus élevée que celle proposée. La Confédération, le canton, la commune et les organisations de protection environnementale versent au final un montant total de 12 millions de francs.

Mais ce n’est pas tout: il est convenu en parallèle d’utiliser une part réduite des droits de construction pour l’implantation d’un nouveau quartier. De là voit le jour Seglia vers la route d’accès nord à Sils-Maria. C’est à cet effet qu’est établi, en 1977, le premier plan de quartier de Suisse servant d’étude de base. «Il permet, couplé aux prix du terrain de l’époque, d’empêcher l’implantation d’un quartier de résidences individuelles», ajoute Meuli. La plaine située à l’est reste cependant classée en zone à bâtir jusqu’à l’étape suivante de concentration. Ça ne fait qu’une dizaine d’années que l’aire constructible de 35 hectares sur la rive ouest du lac de Silvaplana a été réduite à une parcelle d’à peine deux hectares aux abords de Sils-Maria.

Douze propriétaires fonciers sont concernés par la concentration des droits à bâtir dans la zone de «Cuncas». La manière dont leurs droits sont transférés sur la parcelle en bordure du noyau bâti fait penser à un remaniement parcellaire: les terrains sont mis en commun, puis redistribués. Les parts de propriété demeurent identiques. Seul l’indice d’utilisation change sur les terrains à bâtir redimensionnés. L’autorité de planification est parfois en mesure de compenser quelque peu cette restriction d’utilisation en augmentant légèrement les possibilités de bâtir (cf. interview avec Orlando Menghini). Il reste toutefois évident qu’une telle procédure est extrêmement avantageuse

Vue du centre de Sils-Maria: Le centre historique est d’origine romane. Photo: P. Knüsel
Caption
Vue sur le lac Sils. Le mur de pierre bordant le sentier historique menant au Val Fex est en cours de restauration. Photo: P. Knüsel
Caption
Les ceintures vertes entre les hameaux sont caractéristiques de la plaine de Sils; vue sur Sils-Baselgia. Photo: P. Knüsel

Une initiative citoyenne demande une plus forte concentration

Les instances supérieures ne sont cependant pas les seules à saluer le redimensionnement. La population locale réserve, elle aussi, un accueil favorable au projet de son administration. Dans les moments cruciaux, le souverain exige même de nouvelles concessions de la part des propriétaires fonciers. La dernière révision, qui devait déboucher sur le déclassement de la réserve de 35 hectares près de «Cuncas» était en bonne voie. De l’avis général, il convenait de concentrer les droits à bâtir sur un site de cinq hectares directement près de la station inférieure du téléphérique Sils – Furtschellas et un plan d’aménagement était prévu pour ce périmètre situé en-dehors du noyau bâti. Le collectif de propriétaires organise donc un concours qui est remporté par le bureau d’architecture bâlois Herzog & de Meuron avec une version moderne de hameau. Mais la grande réalisation immobilière provoque une levée de boucliers, suivie d’une récolte de signatures. En 1995, les résultats de la votation communale montrent qu’il faut encore réduire les zones à bâtir. C’est pourquoi le consortium de planification décide de transférer le site à la périphérie est (cf. interview O. Menghini).

L’immeuble locatif pas tout à fait achevé à l’est de Maria constitue l’un des derniers vestiges des plans d’aménagement massivement surdimensionnés conçus par la commune de Sils d’autrefois. Une nouvelle expansion, réduite à des proportions raisonnables, aura lieu sur le site du téléphérique de Furtschellas. Les exploitants ont convenu avec la commune et les organisations de protection de l’environnement de réaliser un hôtel juste à côté de la station de départ. Le concours d’architecture lancé pour le projet, qui coûtera 30 millions de francs, dure encore jusqu’à la fin de l’année. La nouvelle offre vise à renforcer davantage l’hébergement touristique à Sils. Car la Haute-Engadine compte bien continuer d’accueillir des hôtes du monde entier dans ses paysages idylliques.

Lecture conseillée

BUNDI, ERWIN (2017). Entwicklung und Schutz der Oberengadiner Seenlandschay. Éditeur: Verein ESOS.

Il peut être commandé à l’adresse suivante:
www.somedia-buchverlag.ch/gesamtverzeichnis/entwicklung-und-schutz-der-oberengadiner-seenlandschaft/

 

Photo dans la salle communale de Sils: la plaine de la vallée près de Sils, entre les lacs de Silvaplana (photo ci-dessous) et de Sils. Photo: P. Knüsel

 


Reclassement avec concentration des droits à bâtir et remaniement

Procédure en quatre étapes:

  1. La commune élabore une stratégie claire de développement territorial, dans laquelle elle définit où et à quelles conditions aura lieu l’urbanisation à l’avenir.
  2. Sur la base d’études locales et dans le cadre de la procédure de plan d’affectation, sont définis les territoires pouvant être construits (périmètres constructibles) et ceux où la construction n’est pas autorisée. Une zone à maintenir libre est apposée sur les terrains non constructibles. Dans les périmètres constructibles – lorsque cela s’avère judicieux – on augmente les possibilités de bâtir (concentration des droits à bâtir) et le secteur est soumis à plan de quartier.
  3. Dans la procédure de plan de quartier, l’ensemble des biens-fonds (ceux dans la zone à bâtir et ceux dans la zone à maintenir libre) sont mis en commun et redistribués entre les propriétaires (remaniement). Ces derniers se voient attribuer des terrains, sur la base de leurs anciens droits, aussi bien au sein de la zone à bâtir que de la zone à maintenir libre. Il s’ensuit généralement une dépréciation foncière; mais la perte de valeur demeure mineure, de sorte que – d’après la jurisprudence du Tribunal fédéral – on ne se trouve pas en présence d’une atteinte grave à la propriété entraînant une obligation d’indemniser.
  4. Une fois le plan de quartier achevé, la surface brute de plancher est affectée au périmètre constructible dans le cadre de la procédure de plan d’affectation. La zone à bâtir à laquelle se superpose une zone à maintenir libre est quant à elle déclassée.

Les étapes de planification 2 et 3 peuvent aussi se dérouler en parallèle (cf. encadré Remaniement compensatoire dans le canton de Soleure).

Situation juridique en matière d’expropriation

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une diminution d’un quart voire d’un tiers de la valeur foncière ne donne pas lieu au versement d’une indemnité. Elle est considérée comme une atteinte de moindre importance à la propriété foncière. Au regard de la jurisprudence plus récente de la Haute Cour, en vertu de laquelle le redimensionnement de zones à bâtir surdimensionnées n’est en principe pas sujet à indemnisation (arrêts Salenstein TG et La Baroche JU), les propriétaires devraient se montrer mieux disposés à contribuer aux remaniements parcellaires selon la devise: Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras!

Arrêt cité

ATF 104 Ia 120 du 8 février 1978: confirmation du dézonage dans la révision de 1970 de la planification locale de Sils

https://bit.ly/2Q16vSn
 

Caption
Vue vers l’est en direction du hameau de «Seglias»: les ceintures vertes maintiennent les zones bâties historiques et les lotissements plus récents à l’écart et sont un atout important pour ce lieu touristique de Haute-Engadine. Photo: P. Knüsel

Le remaniement compensatoire dans le canton de Soleure

Le canton de Soleure s’est doté d’une base légale pour les remaniements compensatoires. Dans ce modèle, la réduction de la zone à bâtir et le remaniement ont lieu en parallèle. Ce n’est que lorsque la nouvelle répartition des biens-fonds est effectuée que le changement de zone devient définitif dans le plan d’affectation.

À ce jour, la disposition soleuroise n’a encore jamais été appliquée et l’ordonnance mentionnée dans l’article n’existe pas encore. Mais avec la révision de la LAT et compte tenu du nombre de communes possédant d’importantes réserves de terrains constructibles, cette disposition devrait rapidement gagner en importance.

Libellé de la disposition (en traduction libre)
Remaniement compensatoire
(§ 83bis 1bis de la loi du canton de Soleure sur l’aménagement du territoire et les constructions)

1 Pour garantir une compensation équitable des avantages et des inconvénients économiques résultant d’une modification du plan de zones, un remaniement parcellaire peut être ordonné et effectué parallèlement à la procédure de plan d’affectation.

2 À cet effet, la valeur des terrains situés dans le périmètre concerné par le remaniement est estimée sur la base de l’ancien et du nouveau plan de zones.

3 Il est ensuite procédé, dans la mesure du possible, à une compensation équitable, dans le cadre de laquelle les propriétaires impliqués se voient attribuer des terrains situés aussi bien au sein que hors de la zone à bâtir. Dans ce but, il est aussi possible de fonder une copropriété.

4 Le Conseil d’État règle les détails dans une ordonnance.


 

Aux abords de Sils-Maria, vue sur le quartier où les possibilités de construire - autrefois dispersées sur la plaine de «Cuncas» - ont été concentrées.
Photo: P. Knüsel

La parole à Orlando Menghini

Caption
Orlando Menghini, architecte et urbaniste de Sils en Engadine, directeur du bureau d’aménagement Stauffer und Studach à Coire.
Photo: H. Muster
«L’atteinte à la propriété privée est pour ainsi dire collectivisée»
Orlando Menghini, architecte et urbaniste de Sils en Engadine, directeur du bureau d’aménagement Stauffer und Studach à Coire.

Monsieur Menghini, vous êtes l’actuel urbaniste de Sils en Engadine. Comment avez-vous contribué à la dernière action de redimensionnement?

Orlando Menghini: Le mandat d’étude a été confié à notre bureau d’aménagement il y a quelques années seulement. C’est pourquoi je n’ai pas toujours participé personnellement aux grandes actions de redimensionnement. Mais par le passé j’ai pris part à plusieurs mandats concernant Sils. En tant que planificateur d’arrondissement auprès du canton et jeune architecte, j’étais membre du jury en 1989 lorsque le projet de Herzog & de Meuron a remporté le concours pour un ensemble résidentiel à «Cuncas». En 1995, lorsque l’assemblée communale a décidé d’une réduction ultérieure de la surface brute de plancher autorisée, notre bureau a eu l’opportunité de présenter, à la demande d’un propriétaire, une étude d’aménagement sur lamanière de mettre en œuvre judicieusement la concentration des droits à bâtir.

Comment vous y êtes-vous pris?

Les urnes ont rendu un verdict clair: la commune voulait réduire le volume constructible en appliquant un facteur de 4,3, autrement dit en ramenant à 8 000 m2 les quelque 35’000 m2 de surface brute de plancher planifiés sur lesquels étaient prévus environ 350 appartements. Un quartier d’habitation de si petite taille en lieu aussi reculé n’avait cependant aucun sens. C’est pourquoi nous avons proposé de déplacer le volume constructible admis en bordure du noyau bâti. Pour ce périmètre concentré, il s’agissait d’établir un plan d’affectation de détail présentant une densité appropriée au site, que la commune et les propriétaires ont finalement approuvé.

Les propriétaires ne se sont-ils pas opposés à la concentration alors même qu’elle impliquait une restriction de leurs droits à bâtir?

Sur le plan stratégique, la votation communale a été décisive puisqu’elle a permis aux autorités et à la population d’exprimer très clairement leur volonté, à savoir une croissance modérée du milieu bâti et la préservation du paysage. Les propriétaires ont reconnu qu’il n’y avait plus rien à faire. Pire: attendre encore signifiait prendre le risque que les plans d’aménagement révisés soient, eux aussi, contestés. Ils avaient donc tout intérêt à construire les terrains prévus dans les meilleurs délais. Entretemps, la majorité des propriétaires ont vendu leurs parts à des investisseurs immobiliers et le nouveau quartier a été entièrement réalisé.

N’y-a-t-il pas une part de marchandage dans de telles opérations d’aménagement puisque la marge de manœuvre des planificateurs semble relativement importante?

Dans le canton des Grisons, cet instrument de planification est utilisé avec succès depuis les années 1980 lorsqu’il s’agit de réduire des zones à bâtir. Il a fait ses preuves dans la pratique et jouit de l’acceptation tant des communes que des propriétaires. Notre bureau a fait des expériences positives dans plusieurs communes, comme La Punt Chamues-ch, Sent et Maienfeld. À chaque fois, je présente la procédure aux parties impliquées comme une solution «démocratique» compte tenu du fait que la concentration des possibilités de bâtir permet de collectiviser les gains et les pertes. Au contraire, lorsque des parcelles individuelles sont frappées, sans contrepartie, d’une interdiction de bâtir, on crée des perdants et par conséquent une opposition susceptible de se répercuter sur la réaction de l’ensemble de la population. Avec la concentration des droits à bâtir par contre, les autorités offrent aux propriétaires une alternative qui a l’avantage de proposer une planification (y c. des équipements) de qualité. Elle permet en outre de baisser les frais d’équipement grâce au caractère compact du périmètre constructible.

«Une concentration des droits à bâtir ne fait que priver les propriétaires de certaines possibilités d’utilisation, mais pas de toutes. C’est pourquoi – selon le Tribunal fédéral – une telle mesure n’entraîne généralement pas d’obligation d’indemniser.»
Orlando Menghini, architecte et urbaniste de Sils en Engadine, directeur du bureau d’aménagement Stauffer und Studach à Coire.

La concentration des droits à bâtir garantit-elle vraiment que les objectifs quantitatifs qui sous-tendent une réduction des zones à bâtir soient effectivement atteints?

En tant que spécialiste en aménagement du territoire, je me dois de viser un développement du milieu bâti de haute qualité et de privilégier les approches constructives. En d’autres termes, il me faut d’abord projeter la structure compacte ambitionnée, avant de déterminer les parcelles à reclasser. Il est indispensable de réaliser des études urbanistiques, notamment pour tracer des limites compactes au milieu bâti. Pour parvenirà une concentration judicieuse des droits à bâtir, il convient de développer des variantes pour l’aménagement et l’équipement des terrains en question.

Un autre point important: il est essentiel d’inscrire le mandat de redimensionnement dans le plan d’affectation, tout comme l’obligation d’établir un plan de quartier assorti d’objectifs spécifiques. Pour la commune, c’est un moyen d’assurer que le concept de planification soit transposé de manière contraignante dans la réalité. À noter qu’une concentration des droits à bâtir ne fait que priver les propriétaires de certaines possibilités d’utilisation, mais pas de toutes. C’est pourquoi – selon la jurisprudence du Tribunal fédéral – une telle mesure n’entraîne généralement pas d’obligation d’indemniser.

Caption
En été, les touristes et les propriétaires de résidences secondaires profitent des restaurants de Sils.
Photo: B. Jud, EspaceSuisse

Quelles sont les étapes méthodologiques d’une concentration des droits à bâtir?

La planification se déroule généralement en plusieurs phases: les travaux préparatoires impliquent le choix des terrains qui se prêtent à une concentration des possibilités de bâtir et la conduite d’études urbanistiques. En termes d’aménagement, le défi consiste à intégrer de manière optimale la surface constructible sur laquelle sont concentrés les droits à bâtir dans la structure existante du bâti et dans le paysage. Il s’agit d’esquisser, à divers niveaux, comment le tissu bâti et le périmètre en question sont appelés à évoluer en lien avec les espaces ouverts et le paysage. Le concept, qui englobe la réduction du volume constructible, la concentration des droits à bâtir sur un périmètre donné et l’obligation d’établir un plan de quartier, est repris dans le plan d’affectation.

Dans un deuxième temps, la concentration des possibilités de bâtir (avec remaniement parcellaire, aménagement et équipement), est mise en œuvre dans le cadre d’un plan de quartier contraignant pour les propriétaires et les terrains non constructibles sont affectés à une zone à maintenir libre.

Dans la dernière étape, le secteur de la zone à bâtir auquel se superpose désormais une zone à maintenir libre est déclassé.

Avec près de 70 % de résidences secondaires, les nouvelles constructions sont réservées à l’habitat permanent. Photo: B. Jud, EspaceSuisse

Quels sont les facteurs de réussite du redimensionnement d’une zone à bâtir?

Par comparaison avec les mesures de déclassement qui entraînent souvent des querelles juridiques et laissent, dans leur sillage, des perdants et des gagnants, le redimensionnement d’une zone à bâtir, couplé à une concentration des droits à bâtir, constitue une procédure plus démocratique. Les propriétaires des parcelles initiales sont traités sur un pied d’égalité; l’atteinte à la propriété privée, qui obéit à un motif d’intérêt public, est pour ainsi dire collectivisée. Cela requiert évidemment un dialogue intensif et une concertation avec les propriétaires. Tant à Sils qu’à Maienfeld, qui a engagé une procédure analogue, les personnes impliquées ont joué un rôle déterminant. Dans ces deux communes, les agents publics ont présenté le redimensionnement comme une priorité et négocié individuellement avec chaque propriétaire jusqu’à obtenir leur accord.

Cette mesure d’aménagement serait donc aussi possible dans d’autres communes suisses tenues de redimensionner?

Pour autant que je puisse en juger, l’instrument de la concentration des possibilités de bâtir peut être appliqué dans toutes les communes qui doivent redimensionner leurs zones à bâtir. Ce qui compte, c’est la volonté de la commune de miser sur la qualité du milieu bâti. À Maienfeld et à Sils, les conditions étaient réunies. La ville de Maienfeld avait formulé sa propre charte dans laquelle elle déclarait vouloir ralentir la croissance passée et réduire la zone à bâtir. À Sils, c’est la population qui a exprimé le désir de revoir à la baisse les dimensions de sa zone à bâtir. Sauvegarder leur cadre de vie et préserver tant la nature que l’aspect du paysage, tel était le souhait des deux communes.

Lac de Sils avec vue vers Sils et l’hôtel Waldhaus. Photo: A. Straumann, EspaceSuisse
Le reclassement en zone de non bâtir dans la commune de Sils en Engadine de 1970 à 2008. En vert, les surfaces qui ont été dézonées au fil des trois révisions successives du plan d’affectation depuis 1970. Source: Stauffer-Studach Raumentwicklung

Interview: Paul Knüsel


Développement territorial gagnant-gagnant

Trop de terrains à bâtir: une situation à laquelle la commune de Brigue-Glis est aussi confrontée. Celle-ci devra réduire ses zones à bâtir en vertu de la loi révisée sur l’aménagement du territoire et du nouveau plan directeur cantonal. L’exécutif de Brigue-Glis a donc élaboré une charte pour le développement du territoire communal et a défini sur cette base des principes pour l’urbanisation future de la commune.

Le but du projet était d’obtenir une large majorité politique en faveur de la mise en œuvre du développement de l’urbanisation vers l’intérieur du milieu bâti. Pour le conseil municipal, il s’agissait de se mettre d’accord sur une vision commune du développement territorial futur et d’effectuer les reclassements nécessaires sans perdants.

Principes communaux pour la délimitation des zones à bâtir

L’exécutif a élaboré une charte, en collaboration avec des spécialistes externes. Cette dernière détermine notamment quels sont les éléments typiques du centre du village à conserver, quels sont les espaces extérieurs à revaloriser et à rendre plus accessibles. Dans le cadre d’un projet-modèle avec la Confédération, la charte a ensuite servi de base à l’élaboration de principes communaux pour la délimitation des zones à bâtir. Ces principes ont été appliqués à deux exemples concrets. Par le biais d’une charte contraignante, une commune peut communiquer aux propriétaires et aux investisseurs comment elle entend se développer. Cette base favorise beaucoup la transparence et l’acceptabilité d’une réduction des zones à bâtir. Dans le débat avec la population, il est indispensable que l’exécutif communal adopte une position claire. La commune de Brigue-Glis poursuivra ce processus sur la base des principes contenus dans la charte et des conclusions tirées des exemples d’application. Les connaissances acquises seront appliquées à d’autres cas et transcrites aux niveaux régional et cantonal.

Pour en savoir plus, consultez le site Internet de l’ARE: bit.ly/2LlfGi3

 

Zoom sur Sils en Engadine, Article Inforum 2018/3

Commentaires et suggestions
Nous contacter