Un centre commercial offre une esplanade à la ville

Contexte

Le supermarché Migros de Porrentruy était installé depuis des décennies sur plusieurs étages dans une maison du faubourg St-Germain entre la vieille ville et la gare. Au fil du temps, il s’est agrandi dans les combles et dans le bâtiment mitoyen. La configuration des lieux était insatisfaisante pour la clientèle et il n’y avait pas de perspective d’agrandissement possible.

Migros a trouvé en 2008 un investisseur pour développer un grand projet de nouveau centre commercial de l’autre côté de la rue, sur une vaste friche urbaine qui servait de parking à ciel ouvert. Un architecte y a développé un premier projet mais les surfaces nécessaires pour le parking et les commerces débordaient du terrain. Pour pouvoir accéder au parking souterrain, il fallait creuser un tunnel sous la route cantonale. Le projet prévoyait également un porte-à-faux qui cachait la vue sur la vieille ville, inscrite à l’ISOS, et soulevait des oppositions. Une seconde mouture a permis de trouver un consensus en termes d’utilisation du sol et d’intégration dans le site.

Évaluation

Situation

Le centre commercial est idéalement situé au centre-ville, juste en face de la Coop et à proximité des petits commerces de la vieille ville. On peut l’atteindre facilement à pied ou à vélo à travers la zone de rencontre de la vieille ville ou depuis la gare, située à 500 m, par un chemin réservé aux piétons et aux vélos. Les bus s’arrêtent devant la porte et le complexe dispose d’un parking de 185 places, dont 30 sont réservées aux habitants de l’immeuble. Il se situe à 1,5 km de la sortie d’autoroute la plus proche, ce qui en fait également un lieu d’achat prisé pour les 18'000 habitants du district qui vivent dans les villages alentours.

Commune

La commune a joué un rôle actif dans le développement du projet. Elle a négocié avec le promoteur la mise à disposition de la population d’une place publique devant le centre commercial, formée d’une partie du terrain privé et de l’ancienne rue ainsi que le libre accès 24 heures sur 24 au parking souterrain privé. Ceci est notamment très utile pour les visiteurs de la vieille ville et a permis de diminuer le nombre de places de stationnement dans les rues du centre historique qui se transforme progressivement en zone de rencontre.

En échange, le promoteur a obtenu de pouvoir construire plus densément que ce que permettait le règlement communal sur une partie du terrain et de pouvoir étendre le parking souterrain sous le domaine public. Il a ainsi économisé l’excavation d’un deuxième sous-sol pour le parking. La commune a en outre profité de l’élaboration du plan spécial pour réaménager les berges du ruisseau du Bacavoine situé au nord de la place. Ce ruisseau était auparavant enfermé dans une canalisation en pierre.

Propriété

Le premier projet était porté par un seul investisseur et concernait seulement deux parcelles. Il manquait cependant des mètres carrés pour la réalisation du programme prévu. Celui-ci débordait avec un large porte-à-faux sur le domaine public et posait des problèmes d’intégration dans le site bâti, masquant une vue caractéristique sur la vieille ville. Il nécessitait en outre la construction d’un tunnel d’accès au parking souterrain sous la route cantonale avec des rampes d’accès le long du cimetière de l’église classée.

Pour réaliser un projet plus cohérent et plus compact, il est rapidement apparu aux yeux des acteurs qu’il serait préférable d’acquérir deux anciennes petites maisons mitoyennes, situées dans un coin de l’îlot et figurant à l’ISOS. L’office cantonal de la culture a donné son accord à la démolition de ces deux maisons car cela permettait une meilleure solution d’ensemble, du point du vue urbanistique. La négociation avec l’un des propriétaires s’est cependant avérée laborieuse et a retardé de deux ans la réalisation de l’ensemble.

Processus

La commune n’a pas mené de processus participatif, mais elle a organisé des soirées d’information à la population sur le projet. Le changement de densité a été validé par la population en votation populaire, dans le cadre d’une modification du plan d’affectation en 2009, malgré quelques oppositions de voisins. Un plan spécial a ensuite été élaboré dans la foulée pour formaliser l’aménagement de la place et les infrastructures. Il a été approuvé par le canton en 2011 sans aucune opposition.

La construction du nouveau centre commercial a libéré les locaux de l’ancienne Migros qui va être totalement transformée en maison de la santé et offrira 45 nouveaux appartements protégés pour personnes âgées. Un plan spécial à cette fin a été adopté en 2021. Celui-ci prévoit également l’extension du parc voisin des Bennelats.

Acceptabilité

Le premier projet avait suscité des oppositions en lien avec l’augmentation de la densité mais aussi à cause de la vue sur la vieille ville qui était masquée par un large porte-à-faux. La seconde mouture a été nettement mieux acceptée par la population. Elle offre de nombreux avantages aux habitant·es de la ville: place publique en zone de rencontre, emmarchements donnant accès à l’eau sur les berges du ruisseau renaturé, parking souterrain accessible 24 heures sur 24. L’adaptation du plan d’affectation communal pour permettre une augmentation de la densité a été largement acceptée en votation populaire.

Densité

Le projet a largement augmenté la densité bâtie dans ce secteur stratégique du centre-ville, situé entre la vieille ville et la gare. D’un indice d’utilisation du sol de 0.2 (deux maisons à côté d’une vaste friche urbaine), on est passé à 2.3 (sans compter le parking souterrain). Dans le même temps, on a également augmenté la densité d’utilisation avec une grande mixité fonctionnelle: au lieu de deux habitations et un commerce dans les bâtiments démolis, on a désormais sous le même toit trois supermarchés (Migros, Denner et Aldi), des petits commerces, un café, un fitness, un cabinet médical, des bureaux et 21 logements.

Qualité

Contrairement au centre commercial standard, qui se présente comme une boîte fermée, pour que les clients oublient l’extérieur et dépensent davantage, le centre Esplanade est largement vitré sur la place publique qu’il forme au nord et offre des vues sur la ville. La place est aménagée en zone de rencontre (20 km/h) et dispose d’abribus. Le toit du complexe est végétalisé et contrebalance la place très minérale. Les emmarchements sur les berges réaménagées du Bacavoine invitent les clients et les habitant·es du quartier à la flânerie et au rafraichissement.

Pour diminuer l’emprise du stationnement et favoriser la mobilité douce, le parking souterrain ne comporte que 155 places pour la clientèle et le personnel, alors que selon les normes VSS, plus de 200 auraient été nécessaires. Les supermarchés alimentaires (Migros, Denner et Aldi) ont l’obligation d’élaborer un plan de mobilité pour leur personnel.

Rentabilité

En raison du changement structurel, il a fallu revoir à la baisse les ambitions de rentabilité au niveau des commerces. Au lancement du projet, le promoteur souhaitait profiter de la faiblesse du franc suisse pour attirer les Français dans ce nouveau temple de la consommation, en plus de la clientèle régionale. Malheureusement, le taux de change a évolué en faveur du tourisme d’achat et c’est plutôt l’inverse qui s’est produit.

Par ailleurs, l’avènement du commerce en ligne a détourné certains consommateurs des centres commerciaux traditionnels. Plusieurs surfaces sont restées vacantes pendant les cinq premières années. Aldi qui cherchait à construire son propre supermarché, y a renoncé, et s’est finalement installé à l’étage du centre Esplanade, juste au-dessus de la Migros. Les logements et les bureaux ont en revanche facilement trouvé preneur.

Résumé

Avec la réalisation du centre Esplanade, une ancienne friche au centre de la petite ville de Porrentruy s’est transformée en un lieu très dense et vivant, offrant de nouveaux commerces, des bureaux et des appartements, mais aussi une esplanade publique et un accès public à l’eau. Ceci a été rendu possible car la commune, le canton et le promoteur ont su tirer parti des marges de manœuvre disponibles et faire des concessions pour optimiser le projet, en autorisant notamment la construction privée sous le domaine public, la démolition de deux maisons inscrites à l’ISOS et l’accessibilité au parking privé en tout temps pour la population.

Cette réalisation a en outre donné une impulsion pour l’avenir en-dehors du périmètre du plan spécial: la canalisation en pierre du ruisseau a sauté et des emmarchements donnent désormais un accès à l’eau à la population, l’ancien magasin Migros se transforme en habitat pour personnes âgées et les rues avoisinantes se muent en zone de rencontre. D’une manière générale, c’est la qualité de tout le quartier du faubourg St-Germain qui augmente avec ce projet catalyseur.

Informations supplémentaires

• 2011 Plan spécial Esplanade. Commune de Porrentruy.
• 2014 Esplanade centre, complexe commercial et d’habitation. Architectes.ch. Renens.
• 2021 Plan spécial Place des Bennelats. Commune de Porrentruy.